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Grand format
Réédition
Tout public
Paris : Omnibus, novembre 2018
206 p. ; illustrations en couleur ; 26 x 20 cm
ISBN 978-2-258-14993-9
Embarquer pour s'encanaquer
Douze années après avoir fait escale à Tahiti, Georges Simenon propose un roman noir exotique plombé de nostalgie, d'alcool, de frustrations de toutes sortes et de langueur dans un univers coloré et parfumé. Le titre du roman, Le Passager clandestin, fait allusion à une femme qui a embarqué subrepticement à bors de l'Aramis pour Tahiti lors d'une escale à Panama, et qui est cachée dans un canot de sauvetage, mais il peut aussi convenir à certains passagers du bateau qui ont tous ou presque des motivations secrètes à commencer par le major Owen et la petite frappe Alfred Mougins.
On pourrait s'attendre à lire un roman maritime. D'ailleurs Georges Simenon les aime ces ambiances salines. Mais la traversée ne dure qu'un petit tiers, permettant de découvrir certains protagonistes, du major au télégraphiste en passant par l'inconnue du canot dont on n'apprendra le sexe qu'une fois à Tahiti. Le roman va s'installer dans l'archipel, qui n'est pas encore un Dom-Tom, au milieu des années 1940. Il ressemble à une colonie et en a toutes les caractéristiques. D'ailleurs, la colonie occidentale qui s'y est établie se comporte comme elle se comporte partout dans le monde. Elle s'encanaille avec classe. Tout est faux semblants dans une atmosphère qui se veut feutrée et sans heurts. Pourtant, les filous de la pire espèce y abondent. Il s'en trouve même pour devenir avoué sans en avoir le moindre diplôme. L'on devine qu'à chaque passage de l'Aramis, les scandales sont embarqués avec un maximum de discrétion. Le major Owen est un fils de colonel de l'armée des Indes britanniques. Un dandy sexagénaire, tricheur professionnel aux cartes, parti retrouver le fils d'un vieil ami. C'est surtout un homme en fin de carrière qui cherche à profiter pleinement de ses dernières années et qui rêve de faire un dernier coup. Sans le sou, il s'installe dans l'un des rares hôtels de l'île de Tahiti et loue une voiture. À l'English Bar, il retrouve le jockey, un barman qu'il a bien connu par le passé. Il découvre surtout les habitudes de l'île et son téléphone maori, l'équivalent de son homologue arabe. Puis il va apprendre l'identité du passager clandestin avant d'être confronté à l'hostilité d'Alfred Mougins, un truand qui a fui le Panama après un dernier meurtre et qui est venu sur l'île en compagnie de Lotte afin de croiser le fils Maréchal. On apprendra peu après que ce dernier hérite d'une grosse fortune, et que les deux hommes, le major et Mougins, espèrent en tirer profits. Mais Maréchal est parti sur une goélette faire le tour des îles, et l'histoire ne se déroulera pas comme prévu. C'est ce roman qu'a choisi de richement illustrer Loustal. La trame est simple, les motivations des personnages sont complexes, et le romancier est un fin observateur du genre humain. Chacun des personnages de ce roman en est un exemple. Les à-plats très colorés et très brillants de Loustal épousent à merveille un texte à l'écriture lancinante et sobre. L'illustrateur met des images là où Simenon nous offre des souvenirs précis en captant parfaitement les impressions. C'est à la fois rayonnant et langoureux. Il est étrange de voir un illustrateur dont les ambiances sont similaires à celle d'Edward Hopper, sauf à entendre que Simenon a rédigé son roman alors qu'il résidait aux États-Unis lors de son écriture, s'attaquer à un tel univers. En tout cas, Loustal réussit à insuffler du mouvement à des ambiances figées. Le talent sans aucun doute. Il faudrait pouvoir relire d'autres romans de Simenon. Et il serait agréable de les lire en compagnie des illustrations de Loustal Soixante-dix ans après, ils n'ont pris aucune ride. L'air de rien, il s'agit déjà de la cinquième incursion de Loustal dans l'univers du romancier belge. On en redemande !
Citation
Voyez-vous, major, il y a crapules et crapules... Il y a celles qui n'auraient pas pu devenir autre chose, parce que la vie les a faites ainsi... Ces crapules-là jouent franc-jeu, y vont carrément, prenant leurs risques... De l'autre côté, il y a les autres, comme vous, major, sauf votre respect... Les crapules déguisées en hommes du monde, qui se contentent de petits coups fourrés et qui, à l'occasion, s'arrangent pour mettre les copains dedans... Est-ce que vous avez déjà tué un homme, major ?