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Grand format
Inédit
Tout public
Traduit de l'allemand par Georges Sturm
Paris : Le Masque, janvier 2019
328 p. ; 23 x 14 cm
ISBN 978-2-7024-4565-5
Coll. "Grands formats"
Hambourg, année Zéro
Lorsque l'on tente de raconter des histoires policières en Allemagne, il y a deux clichés ou deux images qui viennent rapidement à l'esprit. D'un côté, des séries comme Derrick ou Tatort, avec leur lot de moqueries. Et, de l'autre, des séries littéraires plus réputées et notamment celle autour de Bernie Gunther (dont l'auteur, Philip Kerr, a eu la mauvaise idée de ne pas être allemand). C'est bien évidement restreindre le champ, et il y a des auteurs intéressants, nouveaux, qui racontent leurs histoires dans le passé trouble de l'Allemagne, dans cette monstruosité que a été la RDA ou bien alors qui s'inscrivent plus dans le contemporain. Les cinéphiles avertis ont, de leur côté, gardé un souvenir ému et fort d'Allemagne année Zéro, de Roberto Rossellini (1949) c'est-à-dire de cette description âpre et bouleversante des ruines de l'Allemagne après 1945. Beaucoup ont oublié que, comme ce fut aussi le cas en France, le renouveau et la prospérité ne sont revenus qu'au milieu environ des années 1950. Aussi, c'est une bonne idée de la part de Rademacher d'installer une trilogie, dont ce volume est le dénouement, dans l'Allemagne de l'immédiate après-guerre.
Située à Hambourg, en 1948, dans une ville encore en ruines, l'intrigue de ce roman de Cay Rademacher se concentre autour de la figure de Frank Stave, un policier qui tente de survivre avec ses plaies et ses bosses. Il a pour ami un officier des forces d'occupation britannique. Un peu décontenancé par le fait qu'il reste des policiers nazis dans la police criminelle, Frank Stave décide de s'en écarter et accepte d'intégrer la brigade chargée de surveiller le marché noir. Pour sa première mission, on lui confie une enquête en lien avec son ami. Afin de couper court au marché noir et de relancer la machine économique, les forces alliées et le gouvernement allemand ont décidé de créer une nouvelle monnaie. Il faut garder le secret, mais une inquiétude vient de naître car des billets commencent à circuler. Alors Frank Stave fouine. En même temps, en procédant aux nettoyages et déblaiements, des ouvriers ont découvert un cadavre dans une cave bombardée. Il est mort depuis quelques années mais à côté du corps, il y a des restes d'objets d'art, de l'art dégénéré, honni par les nazis, et que quelques collectionneurs cachaient. Qui peut être ce mort ? Quel rapport avec les œuvres d'art détruites ? Frank Stave pourrait enquêter sur la partie œuvres d'art mais ce qui l'intéresse aussi dans cette affaire c'est que le policier de la criminelle chargé de l'affaire n'est autre qu'un vieil ennemi, un homme peut-être nazi et délateur, qui entend cacher des informations. Stave se dit qu'en découvrant des choses il pourra peut-être faire quitter la police à cet individu louche.
Les deux fils de l'enquête ne se rapprocheront pas, comme c'est souvent le cas, mais les deux enquêtes (dont celle lente et minutieuse de Frank Stave sur les faux billets) permettent à Cay Rademacher, de cerner un peu plus l'âme humaine, dans toute sa complexité. Il y a dans le mort enseveli l'occasion de faire ressurgir un pan de l'histoire allemande que les vaincus aimeraient bien voir occulté, et dans les faux billets une part de la volonté des mêmes vaincus de redevenir des homo economicus à part entière, de dépasser la noirceur des temps pour revivre dans l'insouciance de la consommation (ce n'est pas un hasard si au milieu de l'intrigue l'ami britannique fait ses valises pour Berlin où les Russes viennent de commencer le blocus : comme si les "méchants nazis" allaient s'effacer lentement pour devenir des bons démocrates à l'avant-scène de la guerre froide qui se profile). Servi par une description classique, mélange de fictions et d'éléments réalistes (la vie difficile, les trocs, les petites combines, les retours sur les compromissions des uns ou les lâchetés des autres), Le Faussaire de Hambourg est un roman solide et sérieux, qui permet de plonger, à travers une intrigue policière classique mais habilement menée, de raconter la vie dans une ville allemande dans les mois et les années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale.
Citation
Le vieux torpilleur Cäsar Dönnecke, cet homme dont l'entrée à la brigade criminelle remonte à l'empereur Guillaume II. Qui est intervenu plusieurs fois aux côtés de collègues de la Gestapo au cours des années brunes, et qui a réussi, on ne sait comment, à échapper aux coups de balai des Britanniques après la guerre, quand les vainqueurs ont licencié des policiers pourtant moins compromis que lui.