Une flèche dans la tête

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Roman - Noir

Une flèche dans la tête

MAJ samedi 06 avril 2019

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 13 €

()
Joëlle Losfeld, avril 2019
120 p. ; 22 x 15 cm
ISBN 978-2-07-282138-7
Coll. "Littérature française"

Mise au violon

Avec cette novella mélancolique, Michel Embareck nous convie à un roadtrip le long de la route 61 entre Memphis et La Nouvelle Orléans en compagnie de ses chanteurs de blues préférés, autant de fantômes qui (in)animent les souvenirs d'un père qui ne sait pas communiquer avec sa grande fille. Le narrateur est un ancien flic des RG qui a connu l'éclatement du bloc de l'Est et de son couple en même temps que l'effondrement du mur de Berlin et de ses amours. Avant, ce n'était pas mieux, mais maintenant c'est pire. Tel est le propos principal du livre, et force est de constater que si le bilan est amer il n'en est pas moins (partiellement) objectif. Au fil des chapitres, qui sont autant d'intermèdes musicaux mis en exergue (de "Diving Duck Blues" de Sleepy John Estes à "Love in Vain Blues" de Robert Johnson), Michel Embareck nous confie sa playlist de blues. Une playlist absolument pas gratuite puisque elle fait écho aux chapitres et aux différents moments nostalgiques qui parsèment ce récit. C'est ainsi que le dirty blues répond à une scène de sexe joliment écrite entre la fille du narrateur et un flic chargé d'enquêter sur l'agression sexuelle dont elle a été victime à Montréal alors qu'elle faisait un jogging dans un parc. Cette fille, ancienne professeur de français devenue naturopathe, est une inconditionnelle d'Erskine Caldwell, qu'elle oppose systématiquement à William Faulkner. Elle a surtout des mots extraordinaires pour parler du Petit arpent du Bon Dieu et autre Route au tabac. Il est dommage qu'elle ne nous parle pas des adaptations cinématographiques car on serait curieux d'avoir son avis. Il est dommage également que ces propos elle se les tient dans la tête et n'en parle pas ouvertement à son père car alors peut-être arriverait-elle à faire parler un père mutique, renfermé et migraineux. Et nul doute alors que si c'était le cas, ils se rapprocheraient et qu'elle comprendrait pourquoi ce père, qui voulait à tout prix une enfant, l'a abandonnée alors qu'elle entrait en sixième. La réponse à cette énigme, absolument pas policière mais matinée du côté paternel par une légère trame d'espionnage issue de la guerre froide, se trouve dans un violon récupéré à l'aéroport d'Ottawa ayant appartenu à une certaine Svletana. On pourrait s'interroger à loisir sur cette fille qui a perdu son père flic et se jette dans les bras d'un flic qui trompe sa femme. Michel Embareck se contente de nous ouvrir des pistes, et nous laisse les explorer. L'auteur excelle quand il nous parle du blues et qu'il aborde la tragédie de Robert Johnson ; c'est aussi le cas quand il nous confronte à l'intimité des gens humbles qui habitent des coins improbables alors qu'ils sont eux-mêmes improbables. Il y a une inspiration très caldwellienne derrière tout ça. C'est pire maintenant, et avant, si ce n'était absolument pas mieux, c'était autre chose. Et c'est bien cette autre chose que l'auteur, par l'intermédiaire de son personnage principal, se plait à nous faire (re)découvrir. Michel Embareck est un romancier migraineux (c'est lui qui le dit), c'est surtout un nostalgique romantique et mélancolique. Son court roman se lit d'une courte traite. C'est une invitation à plusieurs entrées. Ne les ratez pas.

Citation

Jamais il ne comprendra pourquoi la vie prend plaisir à se maquiller en traînée pour offrir l'illusion qu'il existe un refuge à l'écart de son flot de pourriture toxique, de mensonges quotidiens dont il a été le témoin rémunéré avant d'en payer par ricochet la facture.

Rédacteur: Julien Védrenne samedi 06 avril 2019
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