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Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Anne-Laure Tissut
Arles : Actes Sud, novembre 2012
264 p. ; 22 x 14 cm
ISBN 978-2-330-01275-5
Coll. "Actes Noirs"
Le tueur qui est en moi
Il s'appelle Ogden Walker, il est Noir, et il est shérif adjoint d'une petite bourgade plutôt calme de l'État du Nouveau-Mexique. Ses journées monotones se passent entre pêche à la mouche, changement du climatiseur de sa maman, bières sans goût bues dans des bars ternes ou dans l'isolement tiède de sa maison froide, et remontrances de circonstance envers la jeunesse désœuvrée mais intoxiquée qui dépeuple plus que peuple son univers. Et puis un premier crime, celui d'une vieille dame, surgit sans qu'il s'en rende compte mais en sa présence. Au départ, c'est juste une visite de courtoisie car cette petite vieille a utilisé son arme à feu, rompant la quiétude nocturne du quartier contre un obscur intrus. Ogden Walker est un homme qui souffre de pressentiments, et au moment où il quitte les lieux il est assailli de l'un d'entre eux et s'en retourne sur ses pas. Il ne le sait peut-être pas encore mais la petite vieille est morte. Son chat étranglé repose sous le lit, et elle, ensanglantée, repose sous une trappe. Les seules empreintes sur le lieu du crime sont les siennes. D'autres meurtres vont avoir lieu, des inconnus vont briser des pare-brises dans un coin paumé de la montagne environnante et d'autres vont chercher quelque chose, on ne sait quoi : de l'argent, de la drogue...
Le postulat de départ de cette intrigue de Percival Everett est limpide : le personnage de flic d'Ogden Walker va être chamboulé par ce crime qu'il n'a su éviter. C'est d'ailleurs peut-être pour ça que le roman apparait déstructuré comme si l'on avait à faire à trois nouvelles, qui représentent autant d'enquêtes, plutôt disparates qui enlèvent au récit toute impression de cohérence. Pourtant, il y en a bien une, et c'est bien là le talent de l'auteur. Car ces trois enquêtes contribuent à faire le portrait d'un homme, qui est aussi le narrateur (donc un portrait potentiellement biaisé). Le roman prend toute son ampleur quand on revient (en pensée ou en relecture) aux premières pages une fois la lecture achevée. Ogden Walker est un homme simple, obstiné et laborieux. Il répète quelques erreurs (s'assurer de l'identité de témoins ou d'inconnus croisés sur sa toute) mais n'hésite pas à prendre la route sous toutes conditions climatiques. Le roman nous balade du Nouveau-Mexique au Texas, et nous fait croiser des personnages peu sympathiques et/ou interlopes aux surnoms évocateurs (La Main, La Blatte) qui évoluent au milieu de prostituées et de junkies. C'est d'ailleurs là l'une des clés du roman : Ogden Walker semble insensible au danger et l'on a l'impression qu'il est plus asocial que les asociaux qu'il croise. Il y a plusieurs affaires dans l'affaire (une arnaque, une vengeance, des histoires de fric et d'isolement sexuel, des abandons, des isolements, des passages à tabac). Il y a surtout le personnage esseulé d'Ogden Walker malgré un shérif et ses autres adjoints, qui éprouvent tous une profonde sympathie pour l'homme. C'est un homme esseulé dans un monde individualiste nauséeux. Par ses dimensions, Ogden Walker fait penser à l'un de ces personnages de Jim Thompson, ces monstres étonnamment humains qui sont abandonnés en pleine nature. Le style de Percival Everett est plus délié que celui du romancier américain précité. Presque plus léger. Assurément plus en surface. On pourrait arguer qu'il manque un peu de densité, mais pas de dramaturgie. Son intrigue pas toujours très soutenue atteint quelques sommets vers la fin du récit à mesure que des pièces s'assemblent, et que le titre, Montée aux enfers, prend toute son importance. Un roman pas inintéressant avec un personnage qui a l'étoffe des héros de la littérature. Un roman bourré de qualités et de surprises.
Citation
Ogden sentait son cœur battre à tout rompre et il se demanda pourquoi. La réponse était évidente : rien ne rend les gens plus intéressants que d'être morts. Triste à dire, mais vrai.