Contenu
Grand format
Inédit
Tout public
414 p. ; 21 x 13 cm
ISBN 978-2-7112-0013-9
Coll. "Equinox"
Un poulpe, une langouste et une murène
Il est toujours difficile d'écrire, encore plus d'écrire sur une situation telle que la Corse, tant les idées toutes faites et ses nombreux stéréotypes sont ancrés dans une sorte de tradition comme autant de passages obligés. Même si le propre de l'écriture (et même si en ce moment des mouvements tentent de restreindre cette idée en imaginant que l'on ne peut écrire que si l'on est soi-même dans le point de vue de celui qui raconte, que seul un Noir peut parler des problèmes des Noirs, un handicapé des soucis des handicapés, que seul un homosexuel peut jouer le rôle d'un gay dans un film, etc.) est de surplomber, de sublimer, nul doute qu'une connaissance des éléments que l'on décrit peut être utile. Marie Van Moere vit en Corse. Donc elle connaît les lieux ainsi que les gens qu'elle côtoie et les situations qu'elle vit. Comme elle signe un "polar", chez Equinox dans une collection dédiée, il y aura des topoï du genre : des mafieux, de la corruption, du racket, des camions de pêcheurs qui promènent plus facilement des cargaisons de drogue que du poisson frais, une vengeance qui traverse le temps, les mélanges vénéneux possibles entre bandits et nationalistes. Mais il ne s'agit pas là des différents centres du livre. Ces éléments sont juste les piliers, les fondations, les traces qui permettent de présenter les personnages, et de les faire évoluer. Ce n'est sans doute pas un hasard si ce Mauvais œil va d'ailleurs plus se centrer sur les rencontres, sur les discussions, sur la vie personnelle que sur l'enquête (ce qui ne l'empêche pas d'exister bien sûr, comme un élément moteur). Ainsi, le roman va se concentrer autour de portraits de femmes.
D'un côté Cécile Stéphanopoli, commissaire de police à Ajaccio. C'est une femme forte, fille d'un policier en retraite mais en pleine crise conjugale ; elle fait équipe avec sa supérieure (plus en retrait) qui a un problème avec l'alcool. De l'autre, Antonia Mattéi, la veuve d'Attilius, un truand disparu dix ans plus tôt (et dont l'enquête a justement été confiée au père de Cécile), qui entend se venger, mais ne sait, au milieu des pistes possibles, qui est réellement coupable de la disparition de son mari. Tout commence avec le retour de "l'associé" du mort, après dix ans d'exil en Afrique .Il vient apporter la part d'argent qui lui revient à la veuve et, en même temps, entend reprendre les affaires. Si cette reprise permet par la même occasion de coincer les assassins de son ancien pote, tant mieux. À proximité de la veuve, son fils, à peine majeur, vit dans la conscience de ce père mort. La mort soudaine de son grand frère et du vieil homme de la famille précipite les choses. Lorsqu'un producteur local de poissons voit ses fermes aquatiques attaquées, ses nasses abîmées et un de ses employés assassinés, la police se met en marche et entend comprendre tout ce qui se passe.
C'est une parabole piscicole d'ailleurs qui sert de fil conducteur à l'histoire : trois poissons, chacun, proie naturelle de l'autre, ne s'attaquent jamais, car le premier qui attaque le second risque d'être surpris par le troisième. Le récit oscille donc entre les différents protagonistes qui occupent successivement le devant de la scène, en chapitres alternés. Construit avec soin, avançant en prenant son temps pour décrire le mieux possible des personnages qui vivent vraiment sous les yeux du lecteur, Mauvais œil s'installe dans le décor corse, lui donne une profondeur de champ (avec des particularités et des "régionalismes"), des évocations de la vie économique, politique ou touristique, sans jamais sombrer dans les clichés. Une intrigue forte, qui s'appuie sur un décor, mais qui n'en dépend pas, qui joue avec des caractéristiques, mais sans insister (pourquoi les Corses seraient-ils les seuls à vouloir se venger en famille ou les seuls à avoir des promoteurs immobiliers corrompus ?). Un équilibre qui présente intelligemment une situation et des acteurs captivants, dans un style classique et maîtrisé, pour confirmer, après Petite louve, un premier roman prometteur, l'étendue des qualités de l'écriture de Marie Van Moere.
Citation
Le mercredi matin, Ajaccio et son arrière-pays montagneux se réveillent coiffés d'une lourde chape orageuse. L'archipel des Sanguinaires garde jalousement son soleil le temps que les nuages soient dissipés par le vent. Seuls les morts n'étouffent pas dans la moiteur électrique.