Contenu
Grand format
Inédit
Tout public
442 p. ; 20 x 14 cm
ISBN 978-2-35887-251-5
Coll. "Roman noir"
Une ode aux sens
Dès le départ de l'intrigue d'Un pays obscur, d'Alain Claret, le lecteur peut se poser des questions sur la réalité de ce qui est décrit. En effet, Thomas, le personnage central, est un journaliste parti sur le front libyen, lors de la guerre civile qui a opposé Kadhafi et ses opposants. Là, il fait la connaissance d'un autre journaliste, Tom, qui a beaucoup de traits de caractère qu'aimerait avoir Thomas. Existe-t-il vraiment ? Est-il une projection ?Toujours est-il que Thomas va se retrouver coincé par l'armée régulière de Kadhafi et enfermé plusieurs mois en prison, ce qui lui vaudra à son retour une petite célébrité. Il est évident que l'on ne revient pas forcément intact d'une telle captivité. Aussi, le journaliste se réfugie dans la maison de son père, une bicoque perdue au fond d'une forêt, où cet ancien universitaire est venu passer ses dernières années en ermite, déçu par le monde. Pourtant, dans cet espace tranquille, les choses vont s'avérer plus compliquées que prévu. Thomas discute avec des fantômes. Des gens s'introduisent peut-être dans sa maison pour lui proposer des messages étranges. On essaie de le tuer. Il découvre un cadavre de femme disparue dans une mare. Lorsque son ancienne maîtresse lui demande de l'aide car sa propre fille a disparu, Thomas voit les frontières entre la réalité et le fantasme, la vie réelle et la vie rêvée, s'estomper et disparaître, se dissoudre comme les corps dans les mares, comme les souvenirs.
Ce roman est un roman des sens : recettes de cuisine et leur fabrication qui vont lentement saliver le lecteur, longues promenades dans les bois avec l'ensemble des sens qui sont sollicités, plongée dans une mare restituée avec un sens du détail fin. Ces sens sont autant aiguisés qu'il s'agisse des descriptions de la vie d'ermite dans une forêt humide que dans la chaleur des sables libyens ; qu'il s'agisse de la sensation des odeurs d'une sauce tomate que le goût âcre du sang s'écoulant d'une blessure. Le roman est également à mi-chemin entre une enquête policière qui reste en filigrane, avec des morts arrivant de manière aléatoire, des notables venimeux, des histoires d'amour qui créent de la jalousie, des prostituées qui disparaissent aux abords de la forêt, des jeunes filles qui s'évanouissent dans la nature, des mystérieux visiteurs de domicile, et de l'autre un roman plus proche de la littérature générale, lié aux sensations, aux fantômes qui composent notre vie nostalgique, l'impossibilité de communiquer de manière crédible entre les êtres, chacun étant enfermé dans sa bulle (ceci étant symbolisé par le côté "absurde" de l'incarcération du personnage qui, dans sa cellule, va entendre des bruits de torture, va croiser ses bourreaux qui le torturent et le frappent sans lui parler, par des co-détenus qui se taisent). Alain Claret passe sans cesse d'un réel décrit avec soin à des scènes fantasmées (voire jusqu'au final qui pourrait changer complètement la perspective du texte) pour créer un roman onirique, complexe, jouant sur les parts d'ombre, très sensuel et aux marges du fantastique, dans une superbe valse hésitation qui joue sur les deux registres du sens le plus pur à l'imaginaire le plus total.
Citation
Il se tenait raide sous la mince couverture, le silence était si dense qu'il eut la sensation que du temps brut s'écoulait dans la pièce. Du temps, hors la vie, hors la mémoire, qui avançait des origines passant sur lui comme un orage sur un vêtement oublié sur un fil.