Contenu
Grand format
Inédit
Tout public
394 p. ; 23 x 16 cm
ISBN 978-2-207-14266-0
Coll. "Sueurs froides"
Apocalypse en marche
Les cataractes du titre renvoient à un aspect important de ce nouveau roman de Sonja Delzongle. Dans une région excentrée de l'ex-Yougoslavie, un immense barrage permet aux environs de bénéficier de l'électricité, par une suite justement de cascades précipitées et forcées qui entraînent l'eau vers les turbines. Mais construit rapidement et avec un souci de l'économie, due à la corruption sous-jacente, le barrage risque de s'effondrer. De même, les perturbations causées par les retenues d'eau ont peut-être entraîné une pollution des sources qui expliquerait que certaines personnes deviennent folles et s'entretuent. En amont du barrage, des moines auraient même quitté leur monastère (devenu vide en quelques heures) transformé en un hôpital pour aliénés dirigé d'une main de fer par un psychiatre spécialisés dans les folies d'origine religieuse ! Toujours est-il que l'ingénieur en chef est venu chercher dans la péninsule arabique un ancien habitant, survivant des coulées de boues et d'eau dues à la précédente catastrophe naturelle qui a touché la région, pour expertiser la construction. Mais les cataractes, en français, c'est aussi un rappel potentiel de cette maladie qui obscurcit peu à peu la vue. En effet, beaucoup de personnages paraissent devenir aveugles à ce qui les entoure : les moines disparus dont personne ne semble se soucier ; l'expert qui profite de la recherche des anciennes sources pour surtout retrouver son passé ; un vieil ermite qui vit avec une sorte de monstre sauvageon, se promenant nu dans les forêts, et dont on ne sait trop s'il fut un être humain ou si c'est le dernier survivant de ce que l'on croit être une légende ancestrale ; une journaliste venue pour enquêter mais dont les préoccupations sont ailleurs ; des policiers qui avancent comme dans un brouillard. Derrière tout cela, l'aveuglement ultime, en filigrane, celui des exactions et des meurtres génocidaires qui ont ravagé la région durant les années de la guerre civile yougoslave.
Tout commence à déraper lorsque l'on découvre des morts sanglants à l'intérieur même de l'équipe du barrage, que d'autres disparaissent étrangement et que, en enquêtant, l'expert et la journaliste soulèvent des lièvres bien embarrassants sur tout ce passé. Et que penser même de cet expert qui, miraculeusement sauvé, n'est peut-être qu'un mort en sursis, qu'un zombie intérieur qui respire malgré tout mais est encore coincé dans la catastrophe où il a perdu sa famille ? Le roman joue sur la catastrophe annoncée, rappelle les précédentes, sur l'ambivalence entre la démesure humaine (les guerres et ses exactions, des écoterroristes qui menacent le barrage, la folie de vouloir contrôler la nature, les délires nationaliste ou religieux) et la force de la nature - les éléments sont dangereux : on doit se battre contre des trous cachés dans les terrains, des grottes où l'on tombe, des rochers qui se détachent des falaises, l'eau qui envahit tout et peut même être empoisonnée, les sources qui se cachent et se replient loin des hommes. Tout cela est raconté à travers une histoire parfaitement mise en scène à l'aide d'images fortes comme celles de la description de la première catastrophe, des passages où apparaît "le monstre de la forêt", de la lutte contre un ours et de cette voiture retrouvée avec deux squelettes au fond d'un ravin et qui se trouve être là depuis des années.
Servi par un final qui raconte de nouvelles catastrophes autant pour l'humanité qu'à titre individuel, Cataractes montre aussi comment lentement mais sûrement, malgré tous les signes, nous avançons aveugles vers notre propre destruction, comme cette eau si calme et dormante qui peut se réveiller, devenir sauvage et tout détruire en quelques secondes. Une allégorie de notre présent, racontée au sein d'une intrigue classique mais bien construite et menée avec panache.
Citation
Ça s'était passé en avril, l'air hivernal radoucissait au profit de la tiédeur printanière, mais les grosses pluies des jours précédents, peut-être à l'origine du glissement de terrain, avaient contribué à maintenir une atmosphère fraîche dans la montagne. La chaleur animale avait préservé celle du petit Jan, l'empêchant de mourir gelé.