Sauvage

Et dans ma tanière de livres, mausolée de la pensée humaine, je bois, et je bois encore ; je déloge les chiens endormis dans les coins de ma cervelle ; je les invite à franchir les murs des préjugés et des lois pour galoper à travers les astucieux labyrinthes des croyances et des superstitions.
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Roman - Noir

Sauvage

Fantastique - Crépusculaire - Rural MAJ mercredi 07 août 2019

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 22,6 €

Jamey Bradbury
The Wild Inside - 2018
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Jacques Mailhos
Paris : Gallmeister, mars 2019
320 p. ; 21 x 15 cm
ISBN 978-2-35178-172-2
Coll. "Americana"

Enfant sauvage

Après My Absolute Darling, de Gabriel Tallent, les éditions Gallmeister nous proposent l'étonnant Sauvage, de Jamey Bradbury. Comparer les deux romans est tout sauf anodin. Dans les deux cas, il est question d'une jeune adolescente élevée par son père au cœur d'une intrigue qui mêle apprentissage, grands espaces forestiers et sauvagerie (version François Truffaut). Dans ce premier roman de Jamey Bradbury, l'histoire se déroule en Alaska. Tracy Petrikoff a dix-sept ans et ni vit (presque) que pour le mushing et la course à traineau de l'Iditarod. C'est une enfant sauvage qui préfère poser et relever ses pièges plutôt que d'aller à l'école. Le fait qui est le plus surprenant est surement qu'elle boit ses proies. Elle semble se délecter du sang de ses prises. Plus tard, à mesure que le lecteur la suivra dans son quotidien, il découvrira qu'elle ne boit pas uniquement le sang de ses proies ; il comprendra également qu'en buvant du sang elle partage les vies passées de ses "victimes" (tout comme le faisait sa mère). Jamey Bradbury instille un soupçon de fantastique à son intrigue naturaliste. Mais ce soupçon reste hautement crédible et ne nuit pas à son intrigue bien au contraire. Parce qu'il permet à Tracy d'être complètement déconnectée d'une certaine réalité et d'avoir des accès d'ivresse qui vont la perturber. La jeune fille est un être à part, qui pourtant est aimée de tous. Elle entretient une bonne relation avec Scott, son petit frère. Elle semble apprécier Helen, la nouvelle petite amie de son père. Surtout, elle est amoureuse de Jesse, un jeune adolescent qui a débarqué un jour chez eux depuis la forêt et qui travaille dure en échange d'un toit.
La forêt, c'est elle le principal personnage de ce roman. Parce que c'est à son orée que la mère de Tracy a été victime d'un accident. Parce que c'est en son sein que Tracy a été attaquée par Tom Hatch, et qu'elle l'a sévèrement poignardé. Parce que c'est de cette forêt que sont sortis tour à tour Tom Hatch et Jesse. Enfin, parce que c'est dans la forêt que Tracy s'échappe presque toutes les nuits conduisant un traineau et manœuvrant ses chiens malgré l'interdiction formelle de son père. Ses chiens d'ailleurs sont ses seuls réels amis. Des êtres sur qui on peut compter et qui ne mentent pas. L'auteure prend le temps de dépeindre le quotidien somme toute ordinaire de cette famille sans trop de sous qui vit sainement et isolée. Habilement, elle présente certains aspects de la vérité s'appuyant sur l'âge de son héroïne (qui de son côté ne comprend pas tout surtout qu'elle découvre ses premiers émois). Jamey Bradbury mélange harmonieusement les différentes personnalités de sa narratrice, espèce de schizophrène fantastique qui noue des liens avec le Vivant, et qui accueille diverses formes de bestialité. C'est ainsi que des paragraphes entiers sont des souvenirs des êtres dont elle a partagé le sang. L'impétuosité et l'obsession de Tracy pour la course de l'Iditarod sont au cœur du non-dit d'où découlera une immense tragédie. S'y rajoute sa hantise de recroiser les pas de Tom Hatch, son agresseur d'une nuit. Et pourtant, il y a de beaux moments poétiques dans ce roman qui aborde des thèmes sociétaux forts de la nature à la monoparentalité en passant par l'homosexualité et l'abandon. Débutant comme une banale histoire (avec des éléments atypiques mais qui restent du domaine de l'ordinaire), Sauvage prend le temps de nous immerger dans un quotidien effréné et pourtant calme. Si la violence rôde, ce n'est qu'aux abords d'une intrigue qui prend la direction des grands romans d'aventure. Et puis soudainement, en des ultimes pages d'une férocité pathologique, le récit prend la tangente de la fatalité et du désespoir. Et notre affection pour une jeune femme abandonnée ne fait que croître malgré ses actes. Jamey Bradbury nous a proposé un premier roman fort et oppressant.

Citation

On ne peut pas fuir la sauvagerie qu'on a en soi.

Rédacteur: Julien Védrenne mercredi 07 août 2019
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