Contenu
Poche
Réédition
Tout public
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Jean-Patrick Manchette
Paris : Rivages, juin 2019
622 p. ; 17 x 11 cm
ISBN 978-2-7436-4774-2
Coll. "Noir", 277
L'odeur du café
En 1981 Donald Westlake fait paraitre un véritable roman d'aventure dense aux nombreux personnages dans un univers qui aurait pu par ailleurs être exotique mais qui pour l'occasion ne l'est pas tant que ça. Ce qui peut paraitre surprenant quand on connait l'œuvre du romancier américain. Son intrigue en revanche est des plus classiques : l'histoire se déroule en 1977 à la frontière de l'Ouganda et du Kenya. Frank Lanigan, un mercenaire devenu homme de main (est-ce bien différent ?) monte une équipe pour détourner un convoi ferroviaire qui transportera pour six millions de dollars de café. Ce café, c'est l'or noir du royaume en déliquescence d'Idi Amin Dada. En désespoir de cause, Lanigan fait appel à l'un de ses anciens condisciples, Lew Brady, un homme étrangement intègre et utopiste. Un homme surtout amoureux fou d'Ellen, une magnifique femme pilote d'avion rencontrée en Alaska (attention à la hausse des températures) et qu'il a embarquée avec lui. Pendant plus de six cents pages corps 6, Donald Westlake nous invite à un trépidant récit d'aventures qui mêle plusieurs triangles amoureux, autant de calculs manipulateurs de financiers prêts à tout, et de destins aux cheminements cahoteux, voire assassins (et donc mortels). Si l'humour est parfois présent, c'est le canevas qui interpelle. Le plan de l'attaque du train est très long à se mettre en place mais sans aucune longueur. On suit avec intérêt son élaboration minutieuse. Parfois, on ne comprend pas certains détours, mais toutes les pièces du puzzle s'assemblent sous nos yeux éberlués (comme si l'on regardait un film des années 1970 de Don Siegel). Et puis Westlake montre avant tout qu'il est un romancier. Il donne corps à une petite dizaine de personnages au sujet desquels il s'attarde à dépeindre leurs personnalités parfois attachantes, parfois répugnantes. Autant de personnages dont on suit avec intérêt les démêlés et les turpitudes. Certains mourront atrocement en cours de route. D'autres prendront de drôles de tangentes (parfois dans un cercueil, parfois sur une mobylette). Tous auront un même but : faire main basse sur le café. Tous ? Non ! Mais c'est une autre histoire. Parmi tous ces personnages, celui d'Idi Amin Dada, fantasmé, mis en fiction, mais assurément crédible avec ses façon de mener la danse des négociations, son charisme manipulateur, ses crises de fou rire et ses colères noires et sanguinaires. Et puis il y a le café. Un véritable commerce biaisé par les Occidentaux (dont le Suisse Grossbarger) qui achètent en Afrique du café qu'ils revendent en Amérique du Sud afin d'en changer l'origine (une histoire de dépendance de pays d'Amérique du Sud à des programmes de financements mondiaux). Comme quoi, le café a la même odeur que l'argent (l'auteur nous donne alors un cours d'économie pour les naïfs). Mais Donald Westlake est un adepte du pied de nez et il a plus d'une solution pour tordre le cou aux soubresauts d'un colonialisme somme tout encore très – trop – présent, et à la victoire des Blancs au détriment des Noirs (rassurez-vous, l'éthique y perdra ce que la corruption y gagnera). Pendant plus de six cents pages corps 6, Donald Westlake nous invite au détournement d'un train de marchandises. L'opération se fera (avec des moments d'une grande drôlerie et d'autres d'une tendresse émouvante). Le roman sera tour à tour un roman d'aventure, un roman ethnologique, un roman ferroviaire, un roman aérien, un roman maritime, un roman sentimental, un roman de braquage, un roman de trahisons... Un roman, quoi ! Et quel roman...
Citation
Les tennismen professionnels, les chefs militaires, les politiciens, tous sont plus proches de leurs adversaires que de quiconque dans le monde extérieur. Un policier en vacances parlera plus volontiers métier avec un voleur, qu'il ne causera d'épargne-logement avec son voisin de palier. De même Emil Grossbarger était déjà plus proche de Baron Chase qu'il ne le serait jamais de Sir Denis Lambsmith, et Sir Denis admit le fait avec un inévitable pincement d'envie et une répugnance à s'en aller.