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Tout public
Sourire évanescent
Aujourd'hui, tout le monde ou presque connaît l'existence (si tant est que cette expression ait un sens) du chat de Schrödinger, celui dont la vie et/ou la mort sont indécidables. Pourquoi évoquer ainsi la physique quantique ? Tout bêtement parce qu'il en sera fortement question dans ce roman de Jean-Jacques Reboux, où seront évoqués différents théoriciens et physiciens qui parfois se réfugièrent dans le silence ou même disparurent. Se sont-ils cachés, ont-ils fui le monde ou bien sont-ils passés dans une autre réalité ? C'est aussi la question que se pose Bénuchot, vieil homme dont le père a découvert les théories physiques alors qu'il était dans un stalag, puis qui a disparu mystérieusement après son retour de captivité. Bénuchot, son fils, a à présent plus de soixante-dix ans, mais il est toujours à la recherche (entre autres) de ce père évanoui. Il est peut-être aussi à la recherche de son grand amour, et il pleure surtout sa fille morte trop tôt. Accessoirement, il est membre d'une secte étrange qui vénère la Mandragore et a passé sa vie à remplir des carnets dans lesquels il a consigné les hommes et les femmes qui ont traversé sa vie de chauffeur de taxi. Quand il roman débute, il a sauvé Léa d'un violeur, et l'a engagée pour essayer de tirer quelque chose de ces carnets. Mais certaines choses restent étranges aux yeux de Léa : des phrases sibyllines dans les notes laissent penser qu'il a peut-être tué certains de ses clients, particulièrement ennuyeux. Et lorsqu'un autre membre de la Mandragore lui montre l'article du journal qui annonce la mort de son violeur en lui avouant que Bénuchot a peut-être engagé le dit voyou pour effrayer la jeune femme et ainsi jouer le rôle du sauveur, bien des certitudes s'écroulent.
À l'instar de la physique quantique et du Chat, aussi énigmatique que celui de Lewis Caroll, le roman restera dans l'indécidable et l'on n'en saura pas plus à la fin sur la réalité des événements que nous venons de suivre (à supposer que la réalité existe). Peut-être que le père de Bénuchot n'était pas son père. Peut-être que la fuite de Bénuchot n'est qu'un moyen de panser des peines de cœur profondes. Ou peut-être pas. Il y a de superbes pages et de non moins superbes anecdotes dans ce gros roman touffu, drôlatique et mystérieux (notamment sur le grand amour de Bénuchot et la façon dont il a offert une fille à sa maîtresse bien aimée) qui part en tous sens et retombe sur ses pattes (comme un chat). Et il faut sans doute laisser son esprit rigoureux à la porte pour en savourer tout le sel, pour en apprécier le charme ténébreux, comme certains textes de Boris Vian. Mais Jean-Jacques Reboux nous a habitué, tout au long de sa carrière d'écrivain de romans policiers ou d'éditeur, à nous entraîner par la main sur des sentiers à la marge, sur les bords des genres, là où l'on se souvient de sa maîtresse en maillot de bain, où les postières cachent de vilains secrets, là où la littérature est un plaisir pour amateurs.
Citation
À ce point de l'histoire, impossible de vous dire, lectrice chérie, lecteur adoré, si ce nom était déjà inscrit sur le collier lorsque la minette fit la rencontre de Bénuchot, pour la bonne raison que celui qui écrit ce livre n'était pas là pour le constater.