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Lames multiples
La lame détruit l'âme, la lame donne la mort à 8 h 29 ce 8 octobre 2031 sur le pont Saint-Bénezet d'Avignon. La lame a l'éclat brut des crimes majuscules. Car la lame ne se plante pas dans n'importe quelles chairs, mais dans celles de Bako Johnson, le premier président noir de la république française élu après une désastreuse parenthèse où l'extrême-droite a prouvé son incompétence. Lame d'un assassin que le président a laissé arriver, tel un autre lui-même. La lame est peut-être née d'une autre lame, la lame de fond qui a dévasté Lagos, au Nigeria, envoyant en exil quelques milliers de miséreux qui, déjà, servent d'enjeux géopolitiques alors qu'ils bravent la mort. Parmi les humanitaires, le propre fils du président Jackson. Mais en un battement d'aile de papillon, la lame était peut-être prête à jaillir après la découverte dans les quartiers nord de Marseille du corps mutilé d'une prostituée noire à qui on a tout volé, jusqu'à son vrai nom. Une victime d'un odieux trafic de chair humaine qui trouve également son origine à Lagos. Pour l'officier Simon Markadian, il s'agit d'offrir un brin de justice à ceux que la justice ignore. Pendant que, dans les ors du pouvoir, se trame l'éventuelle succession du président Jackson, la lame, patiemment, attends son heure...
On ne peut pas reprocher à Frédéric Mars son manque d'ambition : cet énorme pavé touffu et pourtant digeste, qui brasse personnages et continents, s'attaque à un domaine que l'on croyait réservé aux auteurs américains, comme ne manquera pas de le souligner le critique des gazettes sérieuses paresseux et/ou inculte. Il s'agit d'un de ces récits-gigogne où l'ont part de la conclusion pour disséquer comment on en est arrivé là, des microcosmes les plus sordides aux macrocosmes de la realpolitik, l'un ne valant pas mieux que l'autre. On se rapproche ici de l'espionnage version moderne où les acteurs et les enjeux ont changé, même si le manichéisme est relégué au passé (encore que, sans trop déflorer, on découvre au final un de ces complots qui sont l'apanage du genre). Le tout avec un style très factuel, mais qui fait son ouvrage avec même quelques détours vers ce style "dur à cuire" si dur à maîtriser. On pourra regretter que la quatrième de couverture insiste sur l'aspect migratoire alors qu'il n'est qu'un des aspects pas forcément majeurs du roman, comme du racolage sordide auprès de ceux qui cherchent constamment une raison de faire dans leur froc de trouille. Dommage, car ce texte de Frédéric Mars se base sur des faits plus que sur une quelconque posture idéologique, renvoyant facilement dos à dos les divers acteurs sans sombrer dans la misanthropie, comme une version en négatif des romans "climatiques" de Jean-Marc Ligny (la passionnante trilogie Aqua/Exodes/Semences). En cela, La Lame mérite autrement plus d'attention.
Citation
Plus triste qu'amer, il songea surtout que, sans son patronyme complet, la pauvre gamine finirait son effroyable parcours dans le carré des indigents du cimetière Saint Pierre, là où on balançait les cadavres des "sous X" après un mois passé dans les casiers de l'IML.