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Grand format
Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Héloïse Esquié
Paris : Sonatine, août 2019
556 p. ; 20 x 14 cm
ISBN 978-2-35584-765-3
Fantasia (sombre) chez les ploucs
Harley est une princesse dont Duke, le père, est un baron de la drogue qui règne sur son territoire par la terreur, n'hésitant pas à liquider impitoyablement ses ennemis. Le plus coriace d'entre eux, après un passage par la case prison, est devenu baron d'opérette dans un commerce de l'autre côté de la rivière. Cet ex-taulard, qui s'appelle Carl, a fait tuer la mère de Harley des années auparavant. Même amoindri, perdu dans sa masure, avec ses deux fils aussi frappadingues que lui, il aimerait reprendre possession de son royaume. Harley a grandi. Élevée par son père, à la dure, elle semble ne plus avoir de coeur (d'où le titre américain qui le borde de fer barbelé). Pourtant, elle a investi un vieux motel qu'elle a transformé en forteresse et où elle accueille les femmes battues du coin. Mais le royaume semble vaciller : le père est parti en bordée et ne revient pas (de fait seule Harley le sait mais il est en train de mourir d'un cancer), et son principal bras droit magouille avec Carl pour devenir le nouveau numéro un du royaume en déliquescence. Harley décide de passer à la vitesse supérieure pour régler ses problèmes, quitte à déclencher une guerre de gangs. Si l'enfer est pavé de bonnes intentions, il n'est pas faux que parfois, le paradis est construit sur de mauvaises actions.
Tout le récit de Tess Sharpe se situe dans ces zones éloignées des centres industriels américains, dans la cambrousse profonde, là où les choses se règlent de manière violente et où les dynasties perdurent et s'adaptent. Centré autour de la fille qui doit hériter mais ne veut pas de ce trône, ou du moins veut le conserver pour continuer en parallèle ses actions bénéfiques, le roman s'ouvre à quelques figures traditionnelles du roman américain : un ami d'enfance amoureux qui tente dans la grande ville une nouvelle vie, un adjoint prêt à se sacrifier pour son roi et une policière honnête qui aimerait changer les choses. Outre cette intrigue construite avec soin et qui décrit un plan implacable pour se sortir d'une situation plus que périlleuse, Mon territoire offre aussi une échappatoire avec ce centre pour femmes battues qui vont s'organiser pour se défendre. Porté par une évocation de la nature à la fois grande consolatrice et aussi mère de dangers potentiels, le roman de Tess Sharpe s'empare d'un thème classique du roman noir américain pour en offrir à travers une héritière malgré elle une variation sensible, forte et intelligemment menée. Doté d'une fin ouverte mais assez optimiste, le roman est un texte qui ne dépareillerait pas dans la bibliothèque d'un honnête lecteur.
Citation
J'ai huit ans la première fois que je vois papa tuer un homme. Je ne suis pas censée voir ça. Mais ces dernières semaines, depuis que maman est morte, chaque fois que tonton Jake s'absente, je suis complètement livrée à moi-même.