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Grand format
Réédition
Tout public
Traduit de l'espagnol par Claude Bleton
Arles : Actes Sud, janvier 2019
446 p. ; 24 x 15 cm
ISBN 978-2-330-11777-1
Coll. "Actes Noirs"
Épaves à l'EHPAD ?
Il y a des polars qui se concentrent sur la décadence des situations et des lieux, sur la lassitude des personnages et la fatigue due à l'ambiance extérieure, la corruption. Il sera question de ces thèmes dans ce roman de Victor del Árbol, mais vus à travers un autre angle, celui de la décrépitude des personnages. En effet les deux acteurs centraux du livre sont deux vieux. Lui a été un comptable scrupuleux, qui a eu une seule fille. Cette dernière s'est mariée à un homme violent. Le père a réussi à casser le couple, mais le mari est revenu et le couple attend un enfant. Comment le vieil homme ,qui commence à être incontinent et est atteint d'Alzheimer, pourra-t-il gérer le retour d'un gendre brutal ? Elle, elle est la dernière rejetonne d'une famille aristocrate qui a vu ses richesses fondre au soleil. Elle survit uniquement en discutant avec David, un jeune Suédois, et un voisin de chambre dans sa maison de retraite. De son lourd passé familial, on saura que son père a pris un amant avec lequel il a fui sur les routes d'Europe et que, de douleur, sa mère s'est suicidée, sans arriver à entraîner sa fille dans la mort. Lorsque l'homme se retrouve lui aussi installé dans la maison de retraite, il se lie d'amitié avec sa nouvelle voisine. Peut-être qu'une nouvelle vie pourrait les éclairer, mais c'est compter sans le monde moderne qui va les rattraper.
Le récit de Victor del Árbol entrelace les destinées des deux personnages, dont les fils de vie se trouveront liés par des liens lâches du début à la fin du roman. Il faut dépasser la première moitié du livre, qui met en place les lignes directrices de la tragédie et détournent le regard du lecteur qui se demande si le livre va réellement quelque part (à un moment nous quittons les tourtereaux espagnols pour la liaison d'un chef de la police nordique avec une prostituée musulmane, sans que l'on puisse bien comprendre, au départ, le sens de cette deuxième intrigue). Mais, une fois, passé ce long moment d'exposition qui décrit avec soin les "derniers mois" de vie de personnes âgées devenant dépendantes et s'en rendant compte, ce qui doit être le pire , le récit accélère un peu pour présenter une tragédie forte. On croit que les éléments vont s'arranger, mais nous sommes dans un monde de gagnants, de jeunisme et de force. Aussi, les anciens n'ont plus que leurs yeux pour pleurer (sans même parfois se souvenir pourquoi ils pleurent). Les corps qui s'affaissent, les forces qui déclinent, la vigueur qui disparaît, sont montrés avec pudeur à l'intérieur d'une intrigue complexe et construite avec soin. C'est un grand roman émouvant que nous a donné Victor del Árbol.
Citation
Il n'y avait plus rien à faire. À part succomber au gigantesque désespoir et à son interminable consistance huileuse, ou mettre fin à la douleur. Les nuances n'existaient pas dans l'obscurité, il n'y avait rien à quoi se raccrocher, aucun mensonge possible.