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Réédition
Tout public
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Jane Fillon, revu et complété par Marie-Caroline Aubert
Paris : Gallimard, février 2020
430 p. ; 21 x 14 cm
ISBN 978-2-07-282882-9
Coll. "La Noire"
Déroute d’un enlèvement
L'action du roman noir de Shelby Foote se déroule en septembre 1957. Neuf élèves afro-américains se voient interdits d'entrer, sur ordre de Faubus, gouverneur de l'Arkansas, dans leur collège de Little Rock. Ils sont bien malgré eux au cœur d'une lutte raciale menée d'un côté par le Président américain Eisenhower, et de l'autre par des conservateurs dirigés par Faubus, qui vivent encore dans la nostalgie de la ségrégation. Pendant ce temps, à Memphis, Rufus, un gangster blanc, projette l'enlèvement d'un enfant noir. Il a théorisé froidement ce kidnapping, et a misé sur l'inertie des forces de police, blanches, vis-à-vis d'un enfant nègre, pour augmenter ses chances de réussite. Il fait appel à Podjo, un joueur professionnel, pour l'aider à monter l'opération. Podjo ne sait pas à ce moment-là qu'un troisième élément en la personne de Reeny, petite amie de Rufus, va se greffer au projet, créant ainsi un trio improbable de ravisseurs.
La cible des gangsters est le jeune Teddy dont Martha et Eben, les parents, appartiennent à la classe moyenne américaine. Surtout, Tio, le grand-père de Teddy, est un riche banquier, qui ne manquera pas de mettre la main à la bourse pour récupérer son petit-fils. C'est ainsi que Shelby Foote propose en 1977, vingt ans après les événements narrés, un roman choral qui alterne les points de vue de sept personnages, n'hésitant pas à donner des versions quelque peu différentes de moments qui se déroulent sous les yeux de ses lecteurs et des protagonistes d'un drame annoncé. Car il est clair que l'enlèvement ne se terminera pas bien, et que les malfaiteurs se feront la malle avec la rançon, s'ils ne sont pas arrêtés, voire abattus, après le meurtre de l'enfant.
Le roman décline de façon méthodique l'élaboration du plan de l'enlèvement, de la somme de la rançon (soixante mille dollars) au rôle de chacun dans sa concrétisation (location d'une maison, d'une voiture, découverte d'une cabine téléphonique, du lieu du rapt, écriture du mot qui sera donné aux parents et aussi de ce qui sera dit au téléphone en insistant à chaque fois sur le fait de ne pas prévenir la police). Les détails sont omniprésents grâce au professionnalisme de Podjo. Rufus est un gars en qui on ne peut avoir confiance, d'autant qu'il est accroc au sexe, et qu'il ne pense qu'à la chatte de Reeny. Au fil des pages, à mesure que l'on entre dans l'action, cette dernière se prendra d'affection pour le gamin, ce qui provoquera des élans de colère de son petit ami jusqu'au moment où il la battra, instant de bascule du roman. Car le trio n'est pas qu'improbable, c'est aussi la base d'un triangle amoureux, donc la certitude que le plan parfaitement élaboré va capoter.
Du côté de la famille de Teddy, c'est trois générations qui se confrontent avec un idéal en perpétuelle évolution. Car le drame intérieur de la cellule familiale n'occulte pas le drame national qui se joue en Arkansas. Eben, personnage marquant, comprend très vite qu'un Noir doit toujours faire plus ses preuves qu'un Blanc, et ne peut absolument pas compter sur eux. Son beau-père, le grand-père de Teddy, est la source de sa fortune, mais également de son infortune. Et c'est là tout le paradoxe dépeint par Shelby Foote, qui s'installe dans le cerveau d'Eben, et nous montre l'avancée de sa psychologie, et comment il en vient à se radicaliser. S'il n'est fait nullement mention dans le roman des Black Panthers, nul doute qu'Eben serait une recrue de choix. L'auteur s'attarde sur les tiraillements de la famille de Teddy, multiplie les incursions au sein d'une bande de gangsters qui va se délitant, et l'on ne peut s'empêcher de voir des parallèles entre les deux "foyers". Et puis il y a Teddy, l'enfant enlevé, et comment il est contraint de s'émanciper et de se rattacher à ce qu'il peut.
Shelby Foote (1916-2005) n'était pas seulement un romancier qui aimait placer ses intrigues le long du Mississippi (ce qui lui valut d'être comparé à William Faulkner en sa qualité d'écrivain du Sud, et il rend hommage à cet écrivain en choisissant ce titre à la répétition explicite), il était aussi historien (il faudrait d'ailleurs qu'un éditeur s'intéresse de très près à son imposante histoire de la guerre de Sécession, The Civil War: A Narrative). Son ouvrage est donc aussi un témoignage précis de ce qui se déroulait en 1957 aux États-Unis. Roman noir à la fois de gangsters sur fond d'enlèvement, et aussi social et sociétal, September September est de ces œuvres qui ne laissent pas insensibles avec des personnages marquants.
Citation
J'ai toujours eu pour principe de ne jamais recourir à la police lorsque Blancs et gens de couleur s'affrontent. N'oublie pas que la loi est avant tout la loi du Blanc. C'est lui qui l'a instituée et c'est lui qui l'applique. Il lui arrive, par-ci par-là, de nous permettre de l'invoquer pour régler des différends entre nous, mais lui s'en sert toujours à son profit. C'est sa loi, et non la nôtre, et nous avons tout à perdre à ne pas le garder à l'esprit.