Contenu
Grand format
Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Stéphane Roques
Paris : L'Olivier, novembre 2009
350 p. ; 22 x 15 cm
ISBN 978-2-87929-694-4
Le dernier des romantiques
Le capitaine de Milja (on apprend un peu plus loin dans le roman qu'il faut prononcer "Milia") est un militaire polonais, évidemment aristocrate, moins évidemment cartographe. Il est marié, mais sa femme vit "en dehors du monde" dans une institution spécialisée. Il ne manque pas une occasion de lui rendre visite, accompagné d'un bouquet de roses. Nous sommes le 1er septembre 1939. Les troupes d'Hitler envahissent la Pologne qui résiste comme elle peut, bientôt prise en étau lorsque les Soviétiques se mettent en action. De Milja choisit alors d'intégrer les services secrets. Sa première mission : convoyer un train en Roumanie dépositaire de l'or polonais. Tâche qu'il accomplit avec succès. Devenu espion, de Milja traverse alors les pays et la guerre, endossant de multiples identités, frôlant la mort, loin de sa terre natale. Charmeur, se perdant dans des unions charnelles désenchantées, de Milja incarne à la perfection le dernier des romantiques.
Alan Furst écrit des romans d'espionnage historiques qui auraient pu avoir pour signature celle d'Eric Ambler. Il est d'ailleurs à noter qu'Alan Furst écrit principalement sur la période de sa naissance (1941), période au cours de laquelle Eric Ambler mettait en scène des espions dans une Europe géopolitiquement de plus en plus incorrecte. L'Officier polonais est peut-être son roman le plus abouti à ce jour. Étrange roman qui relate les allées et venues d'un personnage à la dimension surnaturelle, rêveur et intrépide, nullement intimidé dans les moments cruciaux, froid et chaleureux à la fois. Certainement utopiste nullement héroïque car ses actes sont en réaction de la folie et de la bestialité des hommes.
À travers de Milja resurgissent les oppressions et l'asservissement d'une Pologne enclavée entre l'Allemagne et la Russie. Une Pologne forcément différente de ses voisins. Alan Furst n'écrit-il pas que "pour un Allemand, un justificatif était une barrière protectrice, pour les Polonais, c'était une échelle" en parlant de tous ces Passierscheine, Durchlaßscheine, Urlaubsscheine et Dienstausweise qui sont autant de pièces justificatives à montrer à des fonctionnaires forcément rigoureux et inflexibles ? Une Pologne faite de Uhlans, ces soldats enrôlés par Napoléon, de vraies têtes brûlées romantiques et incertaines, qui pourtant va peu à peu se dénaturer. La faute à la guerre, à l'extermination non pas d'un peuple mais d'une âme. Si de Milja à Paris est fier d'être polonais, de Milja à Londres à honte de l'être. Alors que sa femme est morte d'une grippe, enterrée dans une institution délabrée, lui s'en retourne sous les feux de l'action dans une Russie à son tour envahie et dont les plus cruels des SS ne sont pas allemands mais ukrainiens. Et dans un milieu brut, bestial, de Milja, faiblesse de la nature redevient la tête brulée, celui qui se transcende et ne se pose pas de question.
Un roman surprenant, qui ne se lâche réellement pas tellement il captive, qui donne aussi une autre image de Sangatte, cette ville aujourd'hui montrée du doigt pour ses clandestins, et dans laquelle de Milja se fond un temps. Un roman romanesque, épique et poétique. Historique également. Un roman, quoi !
Citation
Ce jour entre tous, il pouvait dire ce qu'il voulait - personne ne contredit un homme qui rédige une lettre de suicide.