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Trouver l'or du temps
Au XIXe siècle, Nietzsche veut écrire de la philosophie, mais il se rend bien compte que l'on ne peut écrire de manière austère et savante (ou alors cela ne l'intéresse pas). Alors il invente sa forme entre poésie et philosophie. Gilles Vidal a commencé, il y a quelques années, par des romans noirs assez rudes, mais en maturant, en mûrissant, il a lui aussi fait un pas de côté en s'occupant de poésie, nous offrant récemment un recueil qui mérite le détour. Mais forcément, on n'écrit pas innocemment dans un "genre" sans que cela ne "contamine" l'œuvre en général. Parfois, ça donne des réussites. C'est le cas de Loin du réconfort. Résumer l'intrigue est assez simple : un homme vient de perdre sa compagne qui a été assassinée. Pourquoi ? Par qui ? Rien n'est sûr, mais l'homme amoureux est innocent. Durant son interrogatoire avec la police, un vieux flic lui glisse une feuille. Sur cette feuille, le nom de quelqu'un qui pourrait avoir des informations sur le meurtre. Bizarrement, personne au commissariat n'a l'air de se souvenir de ce policier. Mais tout cela a-t-il de l'importance ? Non ! Ce qui est important, c'est le long voyage en voiture, solitaire du personnage qui se rend chez celui qui pourrait l'aider. Puis ailleurs. Ce périple est l'occasion de faire naître la poésie des lieux. Des lieux noirs où une chambre d'hôtel impersonnelle succède à une zone industrielle désespérante, où les lavabos gouttent et les plafonds ont des taches, et enfin où les peintures s'écaillent. Une poésie de l'ordinaire, des gens de peu, de la vie quotidienne comme elle va, la patine des grands cinéastes français comme Jean Renoir filmant Jean Gabin. Mais ce voyage est aussi l'objet de ruminations car, en roulant, le personnage a des pensées qui vagabondent encore plus que lui. Son esprit navigue entre présent et passé, entre enfance, relations avec sa compagne morte, vie actuelle seul dans son véhicule. Des ruminations qui ne sont jamais l'examen d'un passage à vide, les sombres pensées d'un psychopathe, mais des vignettes qui ouvrent l'esprit au monde, qui sont à la fois des souvenirs et comme des exercices de relaxation, comme chez Jack Kerouac cherchant son satori dans une promenade bretonne sur les traces de ses ancêtres. Même réduite à une épure, l'intrigue noire, et les images et les métaphores qu'elle véhicule, fonctionnent comme le ressort nécessaire à cette description fine et sensible : que se passe-t-il dans la tête d'un homme qui cherche au départ la vengeance mais qui trouvera sans doute autre chose de plus fondamental en se confrontant avec lui-même, dans le mouvement d'une pensée mobile se déchiffrant au fil d'un voyage à la fois road-movie et intérieur.
Citation
Arnaud me semblait complétement à côté de la plaque, mais délicieusement dégénéré, à l'instar de ces vieux briquets plaqués or qui donnent encore du feu mais qui ont été effacés de l'air du temps.