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Inédit
Tout public
Une ligne droite et rouge
Dans Le Cercle rouge, fabuleux film de Melville, le récit s'ouvre et se clôt par cette idée justement que quelles que soient les circonstances les gens qui doivent se rencontrer au final se rencontrent. Il y a dans cette sorte de prédestination, un rappel de ce que André Héléna appelait la poisse et que les romanciers du noir connaissent bien. Par-delà l'anecdote, le nouveau roman de Jérémie Guez est lui aussi dans l'optique melvillienne, et à plusieurs titres. Son personnage central pourrait par exemple sortir du Doulos, par exemple : homme de main depuis l'enfance d'un gangster qui s'est hissé aux premières places de la ville, il est resté dans son ombre même si ce dernier l'utilise plus qu'il ne se souvient de leur passé commun. Toujours est-il qu'il lui a fait jurer de défendre sa famille au cas où. Lorsque l'on retrouve abattu dans sa voiture, et que les vautours commencent à tourner autour des biens mal acquis du défunt, le "au cas où" semble devenir d'actualité. Le personnage entre donc dans sa mission, légitimé par son culte de l'honneur et de la parole donnée. À côté de lui, la veuve semble découvrir qu'elle a été l'épouse d'un truand de haut vol, et comprend qu'elle risque de glisser rapidement dans la misère. Elle va donc s'appuyer sur ce bras droit pour conserver son pouvoir.
Récit court et tendu, délaissant les envolées psychologiques pour se concentrer avec vigueur sur la violence, la force, la loyauté, la truanderie et la trahison, Les Âmes sous les néons montre les nuances entre les êtres, entre les lâches qui tuent et assassinent pour ne pas chercher à analyser leurs propres sentiments, pour se conforter dans un monde rude et donc logique, car fondé sur la raison de la jungle. L'épouse du gangster mort, par exemple, vient d'accoucher, mais le bébé reste un être abstrait qui pleure, certes, mais ne sera jamais au cœur des enjeux - et même au final, si la mère se "servira" de lui, ce sera en reconnaissant que ce n'est qu'un faux alibi. Reste l'image forte et droite d'un voyou à l'ancienne, qui joue sa vie à chaque match de boxe, peut-être le dernier à croire en des lois d'honneur et de fidélité (et cela lui coûte, même si nous n'en dirons pas plus pour ne pas divulguer), l'homme qui a une âme, au sens fort du terme, au milieu d'un monde sans foi ni loi, sans valeurs. Un Alain Delon dans les rues nocturnes de Pigalle. Un humain au milieu d'un monde qui ne le mérite plus. Les Âmes sous les néons est un grand roman noir, servi par le style de Jérémie Guez. Un style simple, sec et puissant, comme une série d'uppercuts dont il est difficile de se relever.
Citation
Tous essayent de la baiser.
Tous l'ont baisée.
Son mari le premier - en la laissant galérer, en lui ayant menti toutes ces années. Elle s'en veut d'abord, c'est ça, la vérité.