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Prévoir et changer le futur
Dans un petit village à l'abandon du centre de la France, Stan et Thomas se sont installés pour créer une sorte d'utopie. Ils retapent les maisons, se sont isolés du monde et n'ont de contact que grâce à un téléphérique. Stan est l'inventeur d'une application informatique qui utilise les données personnelles pour devenir une sorte de coach de vie des utilisateurs. Dans le village, tout le monde qui travaille est filmé en permanence afin d'améliorer les conseils et les prévisions du système informatique. Des années plus tard, son application est devenue très connue, et Stan réfléchit à des améliorations. Pendant ce temps, Thomas sillonne le monde pour des conférences et des colloques lorsqu'il est accosté par le représentant d'un grand groupe pour lui vendre ses parts. En parallèle, Guilhem, manager dans une boîte d'informatique, risque d'être accusé d'harcèlement par des employés qu'il pressure et par une stagiaire qui a couché avec lui. Son entreprise lui propose de stopper les poursuites s'il démissionne de son poste et se fait embaucher dans le petit village afin de récupérer des codes liés à l'application de Stan. Lorsque Thomas propose qu'une assemblée générale discute des possibilités de vendre des actions, ce qui pourrait mettre fin au côté utopique de l'entreprise mais en rendrait certains riches, des fractures se font. Les tensions augmentent et les relations sexuelles ouvertes de certains des villageois créent d'autres tensions.
Comme l'indique ce résumé, le récit joue au minimum sur deux registres : le côté suspense du polar avec cette communauté close qui se déchire, infiltrée par de possibles "traitres", et de l'autre, avec un aspect d'anticipation. Ce n'est pas un hasard (et c'est signalé dans le roman) si l'application se nomme Seldon, le nom d'un personnage célèbre du Cycle de Fondation d'Isaac Asimov, où ce Hari Seldon est un génie qui a mis en équation le monde et qui est capable de prévoir le futur. Dans le cycle, alors qu'il a calculé que l'empire galactique tendait vers sa ruine, il met en place une fondation dont le but est préparer un interrègne court. Dans les derniers chapitres, nous assisterons même à la façon dont Seldon commence à calculer de plus en plus précisément l'apocalypse finale et comment essayer d'y remédier. Dans le roman de Stéphane Furlan, les deux aspects se chevauchent avec soin, et le récit s'éclate entre différents protagonistes qui, peu à peu, font avancer l'action. L'aspect suspense met cependant du temps à se mettre en place, mais le lecteur sent bien que la tension monte. L'auteur développe de manière réaliste un futur proche, né des "délires" plus mercantilistes des dirigeants des GAFA qui cherchent à en savoir le plus possible pour gérer au mieux le commerce. Si l'on peut prévoir les futurs achats, ne pourrait-on pas, comme des scandales récents l'ont montré - on pense notamment aux analyses pour changer les choix des électeurs américains -, transformer le futur en changeant les hommes et leurs mentalités ? Même si, en hésitant entre ces deux aspects noirs et futuristes, le récit patine parfois, il n'en reste pas moins une évocation intelligente et forte à la fois d'une démarche utopiste et de la façon dont parfois, pour créer un futur parfait, on est prêt à des compromissions peu démocratiques (il faut parfois faire le bonheur des gens malgré eux), ce que sous-tend le roman où l'on oscille entre les volontés individualistes et les intérêts collectifs. Du coup, Couru d'avance a le mérite de pousser le lecteur à la réflexion, ce qui est déjà un bon point et une bonne nouvelle.
Citation
Romain avait du mal à le considérer comme un voyeur pervers, un type qui prenait son pied en regardant baiser ses voisins. Mais alors, que voulait-il ? Pourquoi avoir renié tous les principes qu'il avait contribué à énoncer ? Et surtout, depuis quand avait-il développé les capacités prédictives de l'algorithme ?