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L'Art de la fuite est un secret
Grand format
Inédit
Tout public
Portraits de fuites
Nous connaissions l'art de la fugue, qui relève plutôt du domaine musical. Il est donc logique qu'un roman qui évoque la peinture (notons que Gilles Vidal est également peintre) se réfère plus aux lignes de fuite, ces traits qui permettent de définir l'horizon et la perspective. En effet, il sera aussi question de peinture dans ce court ouvrage. Le narrateur est peintre, même si on ne le verra que très peu, et pour cause, au travail. Lors de ses déplacements, il se trouvera confronté à une série impressionnante de tableaux dans un château qui ressemble à un musée surchargé de toiles. Enfin, il aura entre les mains une palette qui aurait peut-être appartenu à Utrillo (ce qui d'ailleurs ne lui fera ni chaud ni froid). Quant au roman, il joue sur le mot fuite dans son sens premier. Poussé par une impression qu'il s'explique peu, le narrateur fuit un danger. Il prend un train au hasard, un train où il rencontre une femme qui, elle aussi, fuit. Mais dans son cas, c'est un danger plus précis, plus réel, et qui revient régulièrement dans l'actualité ces derniers mois, ou dernières années, celui de la violence conjugale. Fuyant donc un mari violent, elle emmène avec elle le peintre qu'elle vient de croiser d'abord dans sa famille, puis dans un château, puis près de la mer.
Gilles Vidal se livre ici à un exercice qui devient familier chez lui : un récit court, poétique, jouant des thèmes du roman noir (ici, fuir un ennemi et comment se cacher, se protéger) pour écrire ce qui lui plait, en toute liberté. Ce récit ressemble parfois plus à un rêve qu'à un polar pur et dur (même s'il y aura de la violence et un cadavre dont il faudra bien se débarrasser). En effet, il s'ouvre par une impulsion : je suis en danger, donc je dois fuir, mais on ne saura pas si ce danger est réel, si le personnage fantasme, s'il est fou, ou si, comme dans des récits anciens, cette mise en marge n'est que le symbole d'un appel à vivre autrement, à s'initier à un nouvel ordre du songe (comme le fut Nadja d'André Breton ou les films de Jean Cocteau, où le réel devient autre chose, un autre univers finalement plus "vrai", plus réaliste que celui dans lequel nous vivons). En tout cas, ce sera une folie douce, rêveuse, nervalienne peut-être, où nous allons suivre par petites touches la course vers la mer de deux personnages que le destin a rassemblé. Servi par une écriture classique, qui renforce le côté onirique de l'histoire, peuplé de rôles secondaires et de décors qui incitent à s'arrêter, à souffler et à regarder le monde autrement, L'Art de la fuite est un secret se situe dans la lignée des derniers textes de l'auteur. Gilles Vidal maitrise son écriture, il n'a plus grand-chose à prouver, et n'a qu'à nous susurrer à l'oreille, de manière à ce que cela reste ancré en nous, des histoires qui lui plaisent et nous transportent – aussi facilement que ses personnages se déplacent et s'évanouissent vers leur le but de leur fuite, à supposer que cette fuite, comme les lignes du même nom, ne soient sans fin et courent jusqu'à l'horizon.
Citation
Un froid de gueux transperçait mon blouson trop mince, le ciel ferreux était prêt à dégorger ses rancœurs et je priais pour qu'il m'épargnât jusqu'à ma destination car la capuche qui agrémentait ledit blouson n'avait d'imperméable que le nom.