Contenu
Grand format
Inédit
Tout public
602 p. ; 21 x 14 cm
ISBN 978-2-07-287581-6
Coll. "Série noire"
Vendre son âme
Le long roman de Marin Ledun court (pourtant) sur une vingtaine d'années, et va brasser plusieurs lieux et plusieurs personnes. Mais au centre, un thème précis celui de l'évocation du marché des cigarettes, entre le petit consommateur de la rue jusqu'au responsable haut placé, cynique, distillant ce qu'il sait être mortel, mais voulant en tirer toujours plus de bénéfices. Ce qui est sidérant tout au long des six cents pages de cet ample thriller intimiste (car en effet le roman évoque quantité de faits mais se concentre sur quelques acteurs, sur leurs actions mais aussi sur leur vie personnelle, complexe et intéressante), c'est une façon de coller au titre. Lorsqu'on travaille dans une industrie à la face grise comme celle du tabac, où il convient de jouer sur la psychologie, de détourner les réglementations, de jouer avec le feu, il faut être prêt à tuer pour continuer son marché. C'est pour cela que le roman va s'ouvrir avec Anton Muller. C'est un homme de main, un homme intelligent, quelqu'un qui agit dans l'ombre. Certes, le marché des cigarettes est lucratif, mais il faut aussi essayer d'en tirer des profits plus importants, des profits moins légaux, mais qui permettront aux industriels d'avoir de l'argent liquide, de quoi huiler le système. Aussi, Muller est-il chargé de braquer des camions de produits chimiques. Double intérêt : diminuer la production des concurrents en les empêchant de travailler et utiliser les produits en question pour les usines de ses commanditaires. Mais le vol des camions ne se passe pas aussi bien que ça, et nous voilà en route pour vingt ans d'une partie de cache-cache entre Muller, qui, secrètement, continue les coups tordus pour ses employeurs, et Nora, un policier, qui peu à peu, monte en grade et tente de coincer les marchands de tabac indélicats.
Le récit de Marin Ledun ne se résume pas à cette course-poursuite, mais ouvre sur des magouilles de différentes natures. Des vraies magouilles où il s'agit de s'associer avec des criminels pour faire de la contrebande, ou de liquider des journalistes qui s'approchent de trop près de cette part sombre du métier. Mais également d'autres magouilles plus ou moins légales avec des call-girls qui exhibent leurs charmes, frappés de la marque de cigarettes dans les salons, les champs de courses, les concerts et, ma foi, s'il faut faire quelques petits extras sexuels pour convaincre l'un ou l'autre, ce n'est pas vraiment grave... De la petite corruption d'un député afin qu'il dénature les lois en fonction des intérêts... De la pression sur les syndicalistes qui veulent faire grève... De l'utilisation, contre finances, de scientifiques qui peuvent faire "évoluer" le discours de santé publique...
Fortement documenté, parfois allusif, le roman de Marin Ledun s'apparente à une version noire de films comme Lord of War. Servi par une écriture maitrisée, par des chapitres où alternent truands, patrons, lobbyistes, femmes plus ou moins émancipées, Leur âme au diable se déroule comme une ample fresque. Cernant au plus près ses personnages (et leurs failles), Marin Ledun nous les rend tellement vivants, que l'on en vient même à être désappointé lorsque l'un d'entre eux meurt et quitte l'histoire. Roman noir et balzacien, dans le sens où il décrit de manière réaliste un monde qui se déroule derrière, en contre-jour, de celui que nous connaissons (et que le centrage assez français permet de relier aux péripéties politiques de la France entre 1986 et 2007), Leur âme au diable est un livre que ne renieraient ni Jean-Patrick Manchette, ni James Ellroy où l'âme noire des protagonistes, l'âme noire du monde se conjuguent avec force.
Nominations :
Trophée 813 du roman francophone 2022
Citation
Le tabac rapporte gros. L'État et l'Europe se fichent des cadavres et des camions d'ammoniac pourvu que les industriels du tabac passent à la caisse. Les taxes sur la cigarette, c'est la moitié de celles sur le carburant et le cinquième de l'impôt sur le revenu.