Contenu
Grand format
Inédit
Tout public
La dictature n'est pas un dîner de gala
Nous sommes à Buenos Aires en 1979. Mathieu Ermine est un expatrié qui travaille pour les services culturels français en Argentine. Un jour, en effectuant une sortie en voiture, il aperçoit au bord de la route un homme qui a l'air blessé. Il s'arrête, le prend en charge et le ramène chez lui. Cet homme, c'est Jorge Neuman, un instituteur qui a écrit un livre lié au réalisme fantastique de Jorge Luis Borges ou de Julio Cortázar, et est même connu dans son pays. Il vient d'être libéré, sans savoir pourquoi, d'un centre de tortures où il avait été emmené avec sa femme. De fait, même s'il était un peu lié à des réseaux de la gauche argentine, c'est surtout parce qu'il avait cherché à retrouver sa fille, arrêtée lors d'une répression d'une manifestation et disparue depuis, qu'il avait été interpelé. Les deux hommes discutent un peu, et cela permet au jeune Français, assez ignorant des réalités politiques, de comprendre toute l'horreur de la dictature argentine. Il est même assez effrayé pour se décider à regagner la France. Avant de partir, Neuman lui confie qu'il va se rendre sur une île excentrée où les militaires pratiquent une torture intensive, qu'il espère y rencontrer Vidal, le responsable de la mort de sa femme, et peut-être de sa fille. Enfin, il lui donne des documents, les derniers textes qu'il a écrits, à mi-chemin entre l'essai et l'autobiographie. Arrivé en France, Mathieu Ermine va écrire une thèse sur Neuman en s'appuyant sur les écrits qu'il a gardés et devenir un spécialiste de son œuvre courte, et par-delà des disparus de la junte argentine.
Les Jardins d'hiver n'est pas un roman policier au sens classique du terme, ni même un roman noir. C'est un récit qui alterne le passé et le présent, le narrateur racontant sa recherche actuelle avec quelques informations de Vidal qui, à la fin de la dictature, s'est caché en France. Cela met surtout en scène son statut étrange, celui d'une forme d'imposture où il se sert de la gloire littéraire, du passé désespéré de Neuman pour construire sa propre carrière. Dans ses textes, il inventera même des situations ou des événements afin de rendre un peu plus glorieuse la "résistance" de Neuman qui, certes, a été enlevé et torturé, mais n'a pas été un "héros" révolutionnaire ou démocratique, plus un homme dépassé par les événements. Au moment où certains émettent des doutes sur la future Coupe du monde au Qatar, rappelons que l'Argentine organisa la Coupe du monde dans des stades qui venaient de servir de camps de détention et de torture, et que les arrestations furent à un moment facilitées parce que tous étaient devant leur poste de télévision. Le roman de Michel Moatti permet de ne pas oublier cette époque terrible.
Citation
Sa mort était possible. Probable. Mais pas certaine. On a dit qu'il avait été arrêté par la police militaire. Qu'il avait été abattu dans une de ces iles de la frontière uruguayenne, ou dans un coin désert des faubourgs de Buenos Aires ou de La Plata. D'autres ont affirmé qu'il avait été trahi par un de ses compagnons. On a aussi raconté qu'il avait été jeté vivant d'un avion.