Contenu
Grand format
Inédit
Tout public
Fiction et réalité entremêlées
À un moment dans le fil du roman de Serge Quadruppani, un truand dit cette phrase énigmatique : "Il y a maldonne." Une mauvaise compréhension comme il y en aura plusieurs dans le roman, et des quiproquos qui ne provoqueront pas forcément des rires, mais plutôt des cadavres. Mais maldonne pourrait être aussi un jeu de mot bilingue un peu tiré par les chevaux. Y aurait-il des mauvaises femmes dans ce livre ? On pourrait le croire car le personnage central a fort à faire avec Olga, une jeune femme, plus forte qu'il ne le croit, et qui le fait tourner en bourrique. Surtout, ce qui attire dans ce roman, ce sont les clins d'œil de l'auteur. À travers le destin d'Antonin, un jeune homme qui se rêve révolutionnaire et pense que l'action directe, la redistribution des biens, c'est-à-dire le vol, est une possible bonne action, c'est toute une ancienne période qui est revisitée. Puis, Antonin se dit qu'être auteur ou traduire les autres pour arrondir les fins de mois, ce serait bien. En même temps, il va soutenir un "vrai" truand, qui crie son innocence et obtient des soutiens de l'intelligentsia de gauche. Du coup, c'est Antonin qui va se trouver à récupérer et cacher le magot que ce dernier a vraiment volé. Pour faire tomber ce truand, ses complices lui collent le meurtre d'un artisan sur le dos et il aura bien du mal à s'en dépêtrer, surtout que son alibi, c'est qu'il se trouvait entre les cuisses de son avocate...
Comme l'indiquent tous ces éléments, les lecteurs habitués du genre et de la biographie plus précise de Serge Quadruppani, auront reconnu des faits connus : les milieux polars proches de l'extrême gauche, des voleurs soutenus comme révoltés contre la société, d'autres accusés (et condamnés) pour des crimes commis par on ne sait qui, des truands abattus par un groupe Honneur et Police qui semble être surtout le moyen d'action de ripous contre les gangsters qui les auraient doublés, des magots cachés à droite ou à gauche et que beaucoup recherchent, un auteur traducteur attiré par l'Italie. Ce qui est surtout intéressant c'est que l'auteur joue presque au jeu du complot : il ajoute des éléments que l'on sait réels au sein d'une histoire fictive pour en proposer une relecture savoureuse. Et pour ce faire, Serge Quadruppani propose une intrigue savamment construite. Une première partie relate une histoire ancienne racontée par le personnage d'Antonin, double (?) fantasmé (?) de l'auteur, avant d'alterner dans une seconde partie les discours de trois protagonistes, ce qui permet de multiplier les possibilités de compréhension. Du coup, les frontières entre la fiction, la réalité ou n'importe quel interstice entre les deux se brouillent, créant un roman à facettes bougrement stimulant. Les points d'interrogation entre parenthèses sont juste le symbole de ce qui se passe dans la tête du lecteur tout au long du livre et le final prolonge cette valse-hésitation. Même si l'on ne connait pas toutes ces possibilités d'extrapolation du monde réel, le récit est construit, comme l'a été le film Usual Suspects, de manière à emporter la conviction d'un roman intelligent, noir et fort.
Citation
Dans les années 70 et jusqu'au milieu des années 80 du siècle dernier, la fêlure de 68 a laissé surgir sur le territoire français et bien au-delà une minorité active dont je n'ai aucune honte ni fierté particulière à dire que j'en étais.