Mort à Mud Lick

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Essai - Noir

Mort à Mud Lick

Médical - Drogue - Corruption MAJ lundi 25 octobre 2021

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 22 €

Eric Eyre
Death In Mud Lick - 2020
Traduit du français par Romain Guillou
Paris : Globe, octobre 2021
320 p. ; 23 x 16 cm
ISBN 978-2-38361-003-8

Une petite pilule ?

780 millions de comprimés, 1728 morts par overdose. Tels sont les chiffres délirants du commerce (légal) des opiacés, sous forme d'oxycodone et d'hydrocodone en Virginie-Occidentale, en à peine six ans. Dans cet État de moins de deux millions d'habitants, c'est un véritable raz de marée narcotique qui s'est abattu sur une population fragilisée par la désindustrialisation et le chômage. Mais comment a-t-on pu en arriver là ? Qui a pu encourager autant de monde à se transformer en accros aux pilules ? Et surtout, une fois le fléau connu, comment se fait-il que personne n'ait rien fait pour endiguer le flux continuel des médicaments analgésiques ? Ce sont les questions auxquelles se sont retrouvés confrontés Debbie Preece après l'overdose suspecte de son frère, et Eric Eyre, journaliste au Charleston Gazette Mail. L'enquête qui en résulte va révéler le visage peu glorieux de l'industrie pharmaceutique.

Couronné d'un Pulitzer, Mort à Mud Lick est le genre de récit qu'affectionne l'Amérique, de Mr Smith au Sénat à Erin Brokovich. Celui du citoyen qui se dresse face à un adversaire infiniment puissant et corrompu pour faire éclater la vérité. Mais pour que le récit fonctionne, il faut aussi des personnages forts, et l'enquête d'Eric Eyre en regorge : de Debbie, accusatrice d'un système, et qui fut elle même condamnée à la prison pour avoir mis sa ville en coupe réglée en tant que membre d'un mini-cartel familial à son avocat opiniâtre, de politiciens véreux en lobbyistes corrompus, d'anciens flics antidrogue reconvertis en chevaliers des narcotiques, de pharmaciens âpres au gain et prêts à tout pour vendre plus de doses à des officines de contrôle vidées de tout pouvoir, de toute envie même de contrôler quoi que ce soit. Sans oublier l'auteur lui-même, journaliste malade d'un quotidien en bout de course menacé dans son existence même par les persécutions d'un élu local impliqué dans le trafic. Bref, si on ne se savait pas confronté à la réalité la plus brute, on pourrait presque accuser Eric Eyre de forcer le trait, mais les faits qu'il énonce et qu'il a exhumé au fil d'une enquête complexe de plusieurs années parlent d'eux-mêmes et, au-delà des simples malversations du pharmacien de Kermit délivrant les cachets à flux tendu (sans oublier d'ouvrir une buvette sur le parking pour les clients dans la file d'attente), c'est le panorama d'une Amérique en ruines qu'il dessine, où les instances gouvernementales ont renoncé à contrarier les grosses entreprises, généreuses donatrices aux campagnes électorales, tout en leur abandonnant une population dépourvue de vrai système de santé. Mais c'est aussi le portrait d'une presse en fin de vie, un fossile, où des journalistes d'investigation tentent, comme un dernier baroud d'honneur sans doute, de porter la vérité avant que les rotatives ne se taisent.

Mort à Mud Lick se lisant comme un thriller, on se gardera bien de révéler les résultats de l'enquête, mais on peut tout de même préciser que les chiffres de la Virginie-Occidentale, pour impressionnants qu'ils soient, ne sont qu'une goutte d'eau dans l'océan de cachets submergeant les États-Unis depuis des années. Un Pulitzer hautement mérité !

Citation

Tout le monde savait que Kiser prescrivait des analgésiques. Pour quelle autre raison des fourgons entiers de camés auraient-ils fait trois heures de route pour aller le voir ?

Rédacteur: Jean-François Micard lundi 27 septembre 2021
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