Contenu
Grand format
Inédit
Tout public
478 p. ; illustrations en noir & blanc ; 22 x 15 cm
ISBN 978-2-35720-613-7
Quand rien n'est tout à fait mort
L'île aux chiens ça rappelle sans doute des souvenirs aux jeunes gens qui ont parcouru il y a quelques années les bas-fonds londoniens, mais il existe aussi une Dog island au large de New York. Île ayant appartenu à un peuple amérindien avant de devenir le site d'une prison qui a d'abord hébergé les prisonniers sudistes de la guerre de Sécession, puis un gigantesque cimetière où les détenus enterraient les malades d'épidémies, les sans-abri et les bébés morts-nés. Puis le site a également accueilli au temps de la guerre froide des rampes de lancement pour missiles anti-missiles. Aujourd'hui, l'île est quasiment déserte, mais il reste une dizaine d'habitants, dont deux militaires qui protègent les silos obsolètes, et deux gardiens de prison qui attendent les moments où les prisonniers du pénitencier viennent enterrer des corps. Depuis quelques temps, il y a une nouvelle habitante sur l'île, ce qui ne manque de surprendre tellement les autorités surveillent et empêchent toute arrivée. C'est une artiste qui doit faire quelque chose avec ce lieu, mais lorsque le roman de Michel Moatti s'ouvre, on vient de la retrouver pendue. Quelques jours plus tard, c'est une autre habitante qui est découverte morte et, elle, c'est sûr, a été assassinée. Du coup, deux policiers viennent pour enquêter. Leur mission va être difficile tant les habitants sont peu loquaces, et chacun semble conserver des secrets enfouis.
Ce roman est une excellente surprise. Plus que l'intrigue qui s'appuie sur une vision sombre et noire de l'Histoire, avec cette île peuplée des fantômes de l'Amérique depuis ses origines - les Amérindiens, l'ensemble des marginaux et délaissés des différentes périodes jusqu'aux plus récents (où sont enterrés les morts new-yorkais du Covid à votre avis ?) -, c'est à la rencontre d'un lieu à la fois réel, mystérieux, fort et ténébreux, d'un imaginaire propre à réveiller tous les fantasmes que nous convie ce roman. Un endroit où la mort est omniprésente mais invisible, se cachant dans les mémoires des gens ou les silos sans missiles d'une guerre qui n'exista que froide. Balayée par les vents, cernée par des marées et des houles qui rendent impossible toute arrivée ou départ surprise, lieu clos peuplé de quelques habitants, tous plus hauts en couleur les uns que les autres et frappés par des bizarreries : le dernier épicier, une vieille exilée qui cuisine les recettes ancestrales de son pays d'Europe centrale, un gardien de prison dont la principale occupation était d'attendre patiemment que les détenus se sauvent pour faire de splendides cartons, une jeune fille qui veut devenir la nouvelle grande auteure du roman américain, un militaire revenu de tout, une épouse qui mijote des repas aux poisons variés, jusqu'aux deux policiers qui interrogeant des suspects, laissent filer l'heure, et se retrouvent coincés pour la nuit. Un décor de vent, de rafales rugissantes qui traversent les ruines de silos, d'un ancien pénitencier devenu asile abandonné, des fantômes de sorcières indiennes qui hantent les lieux, des bagnards, un trésor sudiste caché, tout un décor maitrisé par un auteur qui réussit là un coup de force avec une montée de la peur, de la tension sans insister, juste par la description de ses personnages. Une bien belle virée sombre et lugubre comme le vent qui s'engouffre entre deux immeubles lézardés, déglingués.
Citation
La nuit était parfaitement bleue. De ce bleu absolu qu'ont les rêves et les sommeils sans fin de l'alcool et des drogues. Ces sommeils dans lesquels plongeaient autrefois les indiens Algonquiens dans leurs voyages immobiles sur l'île et ses proches alentours.