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Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Simon Baril
Paris : Rivages, janvier 2022
286 p. ; 23 x 16 cm
ISBN 978-2-7436-5500-6
Coll. "Noir"
Vivre dans un monde qui se meurt
Lynch est une petite ville américaine de Virginie-Occidentale qui se meurt lentement. Les industries ferment les unes après les autres, les forces vives s'enfuient, et il ne reste que les paumés et ceux qui n'ont pas les moyens intellectuels ou financiers de partir. Jason Felts, est un petit gars du coin, plus petit que la normale, mais qui a réussi à travailler. Il est assistant social et collabore souvent avec la prison locale. Pendant son temps libre, il aide son oncle qui retape des maisons, aidé par Terry, chassé de sa maison et qui vit de manière difficile, se droguant, essayant de cacher son homosexualité, pratiquant quelques petits cambriolages pour améliorer son ordinaire. Felts utilise aussi une partie de son temps pour se "reposer" auprès de la femme qu'il aime, même si celle-ci est (mal) mariée à un gardien de la prison. À coté de Lynch, vit la famille Gilbert. Une famille qui a toujours vécu des trafics et en s'appuyant sur la violence. Alors que Ferris, le patriarche, sort de prison, un des jeunes frères, Huddles, et un membre de la famille sont arrêtés en possession d'une grande quantité de drogue. Comme la pression risque d'être mise sur les deux incarcérés pour qu'ils parlent, Ferris décide de frapper un grand coup et de faire abattre le shérif. Pour ce faire, il a une idée toute simple : utiliser Terry qui lui doit une grosse somme d'argent et le liquider une fois le "travail" accompli. Après des hésitations, Terry fait le boulot mais se retrouve arrêté. Lorsqu'il arrive en prison et qu'il découvre un autre assassinat en lien avec cette affaire, il se doute que son décès est déjà programmé. Pourtant, il se lie d'amitié avec Huddles. Ferris décide alors de menacer Felts afin de transmettre un poison à son frère dans le but de liquider Terry...
En dehors de cette ébauche d'intrigue, le récit comportera encore quelques rebondissements. L'affaire policière, aussi présente soit-elle, n'est qu'une occasion de présenter une région, des décors, des gens. Description fine et sensible d'une ville qui se meurt, à travers des personnages qui ne peuvent plus avoir de rapports normaux avec la loi ou la morale (car comment se construire dans les ruines du capitalisme ?), quand n'importe qui peut être menacé ou soudoyé (ou les deux), quand les derniers moments d'éducation se déroulent derrière des barreaux. On retrouve chez Jordan Farmer la trempe des écrivains des zones rurales, des coins délaissés, dans l'esprit des romans de Daniel Woodrell avec des gens de peu qui tentent de faire avec ce qui leur reste, avec une volonté, une fierté de ne pas se trahir, et peut-être même l'envie que leur désir fasse que le monde change, que leur région reste belle. Face à eux, le mal rôde, ici incarné par un chef de gang hargneux, qui n'apparait que peu mais dont la malignité contamine tout. Il est symptomatique que les personnages se heurtent à des cadavres abandonnés et pourrissants, dont tout le monde se moque, des coups de pied dans le dos, des chantages vicieux, des amis qui trahissent, bien souvent parce qu'ils n'ont pas le choix pour constituer une humanité qui se débat, qui rêve de choses meilleures (et l'amour de Jason Felts fait partie de ces possibles) mais se heurtent à la cruauté du monde.
La Mort sur ses épaules, premier roman de Jordan Farmer, est une bien belle façon de commencer l'année pour les éditions Rivages et pour les lecteurs.
Citation
En général, les expéditions nocturnes ne dérangeaient pas Huddles. Il préférait rouler la nuit, être le dernier conducteur sur la route avec pour seule compagnie les rares aboiements de coyote disséminés à flanc de coteau.