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Je suis Charlie
© D. R.
07 janvier 2015 -
Un premier édito de l'année n'est en général pas chose aisée. Je ne sais pas vous, mais moi je suis abasourdi devant tant de violence, de bêtise, d'intolérance et d'ignorance. Nous vivons dans un monde que nous ne comprenons pas et qui bouge tout le temps et bien trop vite. À tel point que déjà le massacre qui a eu lieu dans les locaux de Charlie hebdo a déjà sa page Wikipedia. Il y aura un après 7-Janvier comme il y a eu un après 11-Septembre. Mais je veux croire en l'humain, et l'humain me dit qu'un peu partout en France (mais aussi dans le monde) de nombreuses personnes s'élèvent contre la barbarie qu'une minorité (instrumentalisée) veut nous imposer. À Paris, la foule était compacte, et le rassemblement - suivi de la manifestation de la place de la République à l'Hôtel de Ville -, s'est déroulé dans un calme impressionnant. On pourra cependant regretter la récupération idiote de la CGT qui s'est alors installée drapeaux brandis en tête d'un cortège composé simplement de citoyens éberlués de ce qu'ils avaient vu et entendu l'espace d'une journée malheureusement mémorable.
Je pense à ces (pour l'instant) douze victimes. À ceux qui pour de mauvaises raisons n'étaient pas présents (la préparation d'une galette des rois prêterait presque à sourire), mais surtout à ceux qui pour de bonnes raisons étaient là. Je veux croire que leur lâche assassinat par des "hommes" cagoulés ne restera pas impuni et ne sombrera pas dans l'oubli. Je me réjouis d'ores et déjà de l'arrivée de nouveaux illustrateurs, qui tous prendront dignement la relève des cinq assassinés (Cabu, Charb, Wolinski, Tignous et Honoré). N'oublions pas cependant les autres morts. Le journaliste économiste Bernard Maris mais aussi les plus anonymes comme le correcteur Mustapha Ourad ou encore cet employé de Sodexo qui faisait le ménage. Ensuite, une pensée émue à ces deux policiers - Ahmed et Franck - morts comme on dit pour la France, et une partie de moi ne peux que penser que le premier imposera le silence (j'ai le droit de rêver un peu) à la masse raciste pour qui tous les Arabes sont des terroristes. Enfin, n'oublions pas les rescapés qui peut-être ne s'en remettront pas tout à fait.
Dans son film noir Violence à Park Row (1952), le réalisateur américain Samuel Fuller narre le combat d'une presse indépendante contre les magnats déjà installés. Gene Evans, qui incarne un brillant journaliste puis rédacteur en chef idéaliste aux idées géniales, s'oppose à Mary Welch, une femme pour qui tout s'achète. Bien entendu, dans ce quartier new-yorkais de Park Row - aussi appelé "Allée des journaux" et où trône une statue de Benjamin Franklin - la lutte féroce entre le Globe et le Stars atteindra des sommets avec morts à la clé. Mais Samuel Fuller s'offre également le luxe de rappeler que la liberté de la presse est inscrite dans le Premier amendement de la Constitution des États-Unis, ce qui n'est pas anodin. En France, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est l'un des "chiens de garde" de la Démocratie. Le nier et lui porter atteinte revient à la bafouer. Alors, pourquoi ce "Je suis Charlie" ? Parce qu'aujourd'hui bien plus qu'hier et peut-être bien moins que demain si l'on n'y prête pas suffisamment attention, les loups ne seront plus simplement dans Paris. Ils auront fait du chaos l'ordre nouveau.
Je suis Charlie.
Liens : Samuel Fuller
Par Julien Védrenne