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Quand Laurent Guillaume fait son Mali
© D. R.
k-libre : Laurent, tu es Capitaine de Police et tu as pas mal bourlingué. Maghreb, Tchad, et maintenant le Mali. Qu'est-ce qui t'a poussé à vouloir exercer à l'étranger ?
Laurent Guillaume : Le goût du voyage et de l'aventure. Avant de m'expatrier, j'avais eu l'occasion d'accomplir quelques missions pour le SCTIP (Service de Coopération Technique Internationale de Police). Ces expériences avaient fait germer en moi l'idée et l'envie de m'installer à l'étranger pour tenter de faire partager mon expérience à des policiers moins favorisés.
Adossé contre un baobab, Laurent semble être dans son élément. Un chimpanzé se précipite sur moi, grimpe le long de ma jambe et vient trifouiller dans mon nez avec son doigt. D'un claquement de langue, Laurent le rappelle à l'ordre avant qu'il n'entreprenne des inspections plus gênantes.
k-libre : Le Mali, c'est un hasard ou comme le chantait Robert Palmer, c'était juste pour faire la connaissance de : Ève, Rick, Anne les p'tits Peuls ? (Je sais elle est facile.)
Laurent Guillaume : Elle est amusante en tout cas. En fait depuis tout petit je rêvais d'aventures exotiques. J'ai encore le souvenir de John Wayne capturant des animaux sauvages dans Hatari, Humphrey Bogart et Katherine Hepburn naviguant sur une rivière du Congo belge à bord de l'Africa Queen. Si l'Afrique des années 1950 et 1960 vues par Hollywood est un pur phantasme, ces films m'ont donné l'envie et le secret espoir de faire un jour mes valises. La confrontation du début et le choc culturel ont été rudes, mais maintenant que je me suis "tropicalisé" je n'ai pas de regrets. J'aime le Mali, je m'y sens un peu chez moi et ça n'a rien d'un hasard...
k-libre : Ton héros, le major Makowski, est un flic du genre sanguin, avec un côté justicier un peu à la Charles Bronson. Comment t'es venue l'idée de ce personnage un peu atypique ?
Laurent Guillaume : Il existe trois types de policiers. Les premiers, je les surnomme les "gamellards". Des fonctionnaires qui entrent dans la police comme ils l'auraient fait dans n'importe quelle autre administration pour s'assurer une petite carrière pépère. Ils fuient le travail, car c'est une source d'emmerdes et que c'est fatigant. La deuxième catégorie est constituée de ceux dont je me plais à croire qu'ils sont la majorité. Des policiers sérieux, honnêtes et travailleurs qui font correctement leur job avec la conscience que les enjeux dans ce boulot sont différents de ceux des autres professions.
Enfin, il existe une troisième catégorie de flics, les "poulets". Ceux-là ont en commun d'avoir le profil d'un justicier, un fort instinct de chasseur et, parfois, l'incapacité de prendre du recul par rapport aux événements.
Mako est l'archétype de ce type de flic, c'est un prédateur. Il n'est pas atypique, j'en ai croisé plusieurs comme lui au cours de ma carrière. Ils sont de formidables policiers avec souvent des réussites exceptionnelles dans la lutte contre le mitan. Ces types ont été ma source d'inspiration pour le personnage de Mako. Le revers de la médaille c'est qu'ils sont souvent "borderline" comme disent les Anglo-Saxons. Parfois, ils basculent du côté obscur quand la réponse du système ne leur convient plus. C'est le cas de Mako lorsqu'il décide de se transformer en juge et d'appliquer lui-même la sentence. Dans mes romans, je ne fais pas l'apologie de la vengeance et de la justice privée. Je décris la descente aux enfers d'un flic qui ne sait plus où est sa place. Pour moi, lorsqu'il règle son ardoise à coups de calibre, il n'est plus un policier, il est un justicier. Mako a un compte à régler avec la vie ; il a besoin de se venger. C'est ce qui fait de lui un mauvais flic. Dans Le Roi des crânes, il en a conscience lorsqu'il déclare : "Quand tu commences à devoir te justifier moralement c'est que tu as déjà un pied du mauvais côté. À ce rythme-là, je ne vais pas tarder à faire le grand écart."
Mais c'est en même temps et malgré ses travers, un être humain plus sensible qu'il n'aimerait. Il prend en charge les malheurs des autres pour oublier les siens. Chasser la lie lui permet d'oublier à quel point il est lui-même faillible.
k-libre : Soulever de la fonte est un des exutoires de Mako. Cela semble être une passion à laquelle tu aimes également t'adonner. Est-ce que tu penses avoir mis une grande part de toi dans ce personnage ?
Laurent Guillaume : Il y a forcément un peu de moi dans Mako comme dans Paul, dans Karim et même dans l'odieux Popeye. Hergé disait : "les Dupondt c'est moi quand je suis bête". Mais bizarrement Mako et les autres m'ont rapidement échappé et sont devenus des personnes à part entière, différentes de moi. Pour ce qui est de la musculation, j'ai toujours aimé le sport et j'ai longtemps pratiqué la boxe française, discipline dans laquelle j'ai été compétiteur. Mais après des années d'entraînement, de coups reçus (et donnés d'ailleurs), je me suis rendu compte que je n'encaissais plus comme avant et que j'avais de moins en moins de plaisir. Il me fallait passer à autre chose. J'ai pratiqué la course à pied avec bonheur et j'ai voulu essayer la musculation en complément. J'ai rapidement accroché même si je sais combien cette activité est narcissique et parfois abrutissante. Mako pratique la musculation comme on revêt une armure. En fait, il se prépare au combat. La musculation n'est qu'un moyen pour lui. Pour moi c'est une nécessité vitale pour éviter l'implacable dégradation du corps et les ravages de l'âge. Je supporte les cheveux blancs, les rides et les douleurs articulaires, mais je ne supporte pas de ne plus pouvoir.
Laurent glisse deux doigts dans sa bouche et émet un long sifflement. La terre se met à vibrer sous mes pieds. En me retournant, je vois un hippopotame qui déboule au galop et qui se jette droit sur lui. Je suis sur le cul quand je vois l'animal se mettre sur ses deux pattes arrières, poser celles de devant sur les épaules de mon hôte et lui donner de gros coups de langue comme le ferait un chien avec son maître. C'est qu'elle doit peser dans les trois tonnes la bestiole. Il est costaud le bougre.
k-libre : Tes journées doivent être bien chargées. Ton boulot de flic, la famille... Comment t'organises-tu pour l'écriture ?
Laurent Guillaume : J'ai un temps très limité pour écrire. J'imagine que, comme la majorité des auteurs, je m'adonne à ma passion, le soir après dîner et le week-end. Il n'est pas toujours évident de concilier les impératifs d'une vie professionnelle parfois très prenante, ceux de la vie de famille et de la vie sociale avec le besoin compulsif que j'ai de raconter des "histoires". Il faut être organisé et surtout avoir une épouse compréhensive qui compense les manques et les défaillances dans la vie de tous les jours. Mes livres existent aussi et surtout grâce à ma femme.
k-libre : Dès ton premier roman, tu as eu droit à l'intérêt d'Olivier Marchal, qui du coup, a écrit la préface de Le Roi des crânes et de la version poche de Mako. Sans compter les éloges de Laurent Scalèse et du maître Franck Thilliez. Quel sentiment cette considération t'apporte-t-elle ?
Laurent Guillaume : Une immense fierté. Avoir le soutien d'artistes talentueux est très gratifiant. Olivier Marchal sous ses airs de dur-à-cuir est un être d'une grande sensibilité et d'une intelligence rare. Il aime à dissimuler son immense gentillesse derrière des manières viriles et rudes. J'ai beaucoup de respect pour son courage et sa fidélité en amitié. Il y a d'ailleurs un cousinage indéniable entre lui et Mako. En ce qui concerne mes aînés en écriture que sont Scalèse et Thilliez, je dois faire une confession. On m'avait bourré le mou (pardon pour la trivialité de cette expression) avec l'univers impitoyable de l'édition, le monde des auteurs malfaisants cherchant à nuire à toute forme de concurrence. La réalité, tout au moins en ce qui me concerne, a été très différente. Laurent et Franck ont été pour le débutant en écriture que je suis, des initiateurs, des guides d'une grande disponibilité prodiguant des conseils pertinents. Ils sont tous deux étonnants de générosité et de modestie. J'avoue être très fier de leur amitié. J'aimerais aussi évoquer Alexis Aubenque qui est fait du même bois.
k-libre : Les droits de Mako ont déjà été achetés pour une adaptation. Peux-tu nous en dévoiler un peu plus ? Une date, un réalisateur, le format ?
Mon sang de petit blanc semble plaire aux moustiques du coin qui se régalent à coups de piqures ressemblant plus à de l'empalement.
Laurent Guillaume : Une société de production a acquis les droits audiovisuels de Mako. Le producteur avait démarché Olivier Marchal dans l'espoir que celui-ci réaliserait un long métrage de cinéma. C'est par ce biais que j'ai fait la connaissance d'Olivier. Par la suite nous nous sommes rencontrés à Paris lors de l'avant-première de "Braquo" la série télévisée qu'il a créée pour Canal+. À cette occasion, il m'avait dit qu'il aimerait porter Mako à l'écran tant nos univers sont voisins et expriment une même vision crépusculaire du boulot de flic. Malheureusement, Olivier est engagé dans des projets ciné jusque fin 2011. Il a donc dû se rétracter. Le producteur vient cependant d'obtenir l'accord d'un réalisateur célèbre et talentueux, un vrai passionné de polar. Je ne peux encore te révéler son nom tant que le contrat n'est pas signé, mais l'affaire semble bien engagée.
k-libre : Ton prochain roman sera historique, et parlera de l'empereur romain Trajan, premier "Imperator" d'origine non romaine. Pourquoi un tel changement d'orientation ? N'as-tu pas peur de décontenancer ton lectorat ?
Laurent Guillaume : Je vois que tu es bien informé. (Ouf, ça me rassure. Mes souffrances ne sont pas vaines). En fait, tu évoques mon premier roman, La Louve de Subure. Il y a quelques années, j'avais eu le désir d'écrire un roman d'aventures populaire à la manière des feuilletonistes du XIXe. Le récit comporte les ingrédients du genre : une conspiration politique, une femme fatale, une guerre dans les Balkans et un peu de magie noire. Cependant, La Louve de Subure souffre des erreurs classiques de jeunesse et il me faut reprendre la trame du récit pour l'amender. Ce ne sera pas pour tout de suite puisque actuellement, j'écris mon troisième polar. Je ne peux pas encore te donner trop d'éléments le concernant si ce n'est que l'intrigue se déroule entre l'Europe et l'Afrique et que Mako a pris des vacances pour le compte. Il reviendra par la suite, je n'en ai pas fini avec lui.
k-libre : Tu fais souvent référence à ton "Senseï", Nicolas Grondin (Directeur des éditions L'Arganier). Quelle a été son influence dans ton parcours ?
Laurent Guillaume : Majeure ! Nicolas est mon mentor. Il me conseille dans mes choix et c'est lui le correcteur du Roi des crânes. Notre amitié improbable est le fruit de la rencontre entre un éditeur indépendant, contestataire, un rien anar et un flic caractériel (si, si j'ai un sacré bon dieu de sale caractère...). Il n'y avait aucune chance pour que cela fonctionne... Et pourtant... Nicolas m'apporte l'expérience d'un vieux grognard de la littérature qui sévit dans l'édition et l'écriture depuis belle lurette. Nicolas c'est une plume extraordinaire, un bretteur des lettres incomparable qui manie le français comme Alatriste (je suis un fan de Perez Reverte) manie l'épée. Chez lui l'efficacité ne sacrifie jamais à l'élégance. J'appelle Nicolas Grondin Senseï, car, comme un vieux maître (je ne lui rends que quelques années pourtant) il a tant de choses à m'apprendre. Nicolas c'est aussi un type avec des valeurs à l'ancienne dont l'honneur n'est pas la moindre. Bon, j'arrête là ou il va finir par bomber le torse...
k-libre : Tu as de nombreux fans en France qui se meurent d'impatience de te rencontrer. Est-ce qu'il est prévu que tu viennes y faire un tour pour participer à des séances de dédicaces ?
Laurent Guillaume : Malheureusement, ce n'est pas à l'ordre du jour. Lorsque je suis en France, en raison de la brièveté de mes séjours, je dois prioriser. Je préfère me consacrer à ma famille et à mes proches. J'espère cependant de tout cœur pouvoir un jour me confronter aux lecteurs, échanger avec eux. Lapalisse aurait pu le dire, le gros désavantage de l'expatriation c'est d'être loin...
Laurent me raccompagne à l'aéroport. Grâce aux moustiques, j'ai le visage d'Elephant Man, je suis trempé de sueur, j'ai la peau brûlée par le soleil et je suis mort de fatigue. La prochaine fois, j'espère que le boss paiera le billet d'avion à l'interviewé.
Liens : Laurent Guillaume | Le Roi des crânes | Mako Propos recueillis par Fabien Hérisson