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Grand format
Inédit
Tout public
128 p. ; 22 x 16 cm
ISBN 978-2-36749-091-5
Actualités
- 10/09 Prix littéraire: Lauréats des Trophées 813 2022
Cela faisait longtemps que la date fatidique avait été annoncée - c'est désormais chose faite : le palmarès 2022 des Trophées 813 a été proclamé le samedi 10 septembre à la Bibliothèque des littératures policières, sise rue du cardinal-Lemoine à Paris.
Selon la dépêche publiée le jour même sur le blog des Amis des littératures policières, cent cinq bulletins ont été dépouillés.
Et de ce dépouillement émergent des lauriers bien mérités...
Trophée du meilleur roman francophone
Solak de Caroline Hinault (Le Rouergue, "Rouergue noir").
Trophée Michèle-Witta
L'Eau rouge de Jurica Pavicic (Agullo).
Trophée Maurice-Renault
Le Goût du noir dans la fiction policière contemporaine, dirigé par Gilles Ménégaldo et Maryse Petit (Presses universitaires de Rennes).
Trophée de la meilleure BD
Sangoma. Les damnés de Cape Town de Caryl Férey et Corentin Rouge (Glénat).
Trophée du meilleur recueil de nouvelles
L'Homme aux doigts d'or de Marc Villard (Cohen & Cohen).
Liens : L'Eau rouge |Caryl Férey |Marc Villard |813
L'or du bref
Contrairement à ce que la couverture pourrait laisser penser, les dix nouvelles du recueil de Marc Villard n'ont pas pour fil conducteur l'œuvre ou la vie d'Edward Hopper – seules les deux premières ont pour personnage central le peintre américain – ni même les États-Unis tels qu'on peut se les représenter à travers ses tableaux – on voyage beaucoup dans le recueil, et dans l'espace, de Paris au Mexique en passant par Lisbonne, et dans le temps, entre l'aube du XXe siècle et celle du XXIe. Ce n'est pas non plus Gas, l'huile sur toile de 1940 que reproduit la jaquette, qui fonde l'un ou l'autre récit hopperien – le premier, "Rue des Lombards", met nos pas dans ceux de l'artiste fraîchement débarqué à Paris, en novembre 1906 et qui, ne se départissant jamais de son carnet de croquis, se lance sur les traces d'une séduisante voisine ; le second, "L'Homme aux doigts d'or", imagine la genèse de Chop Suey (1929).
Cependant cette couverture exprime avec une sidérante justesse une couleur d'écriture, une tonalité de fond communes à ces dix textes pourtant si différents, à la fois par ce qu'ils racontent et par la manière dont ils racontent. Cette profonde zone d'ombre dessinée par un dense sous-bois au cœur d'une scène réaliste à l'extrême où, passé un léger coude vers la droite, la route disparaît hors cadre ? J'y vois la présence des non-dits qui trouent chacun des récits mais entre des arcatures si précisément dressées par les phrases que leur contenu coule d'évidence – le non-dit se lit clairement : rien à voir avec ces ellipses ménagées par les auteurs pour qu'on puisse à sa guise glisser sa contribution à l'histoire. Cet homme seul, aux allures anodines, affairé à quelque geste ordinaire derrière une des pompes à essence ? L'édicule tronqué au premier plan d'où sourd une lumière artificielle exigée par le crépuscule ? une représentation de cette simplicité de forme et de structure qui caractérise les nouvelles, de ce phrasé "ligne-claire" si particulier qui pose dans la narration, avec une même économie de moyens, un détail du quotidien, un moment artistique, ou un geste meurtrier accompli dans toute sa calme perfection. Jamais un mot plus haut que l'autre, les cris, la peur, la colère passent dans le nu des phrases, sans que leur force en soit éteinte – voici comment surgit, par exemple, la haine conjugale : "Dieu comme elle le hait." Entend-on le moindre souffle de violence dans cette très courte phrase ? Rien n'a bougé et pourtant la haine affleure comme rarement un écrivain sait la faire affleurer sans verser peu ou prou dans l'emphase.
Dix nouvelles en totale harmonie de ton et de rythme : les phrases y sont plutôt courtes, quasiment dépourvues d'articulations soulignant les liens de causalité, et la narration assez factuelle qui ne s'embarrasse pas d'apartés introspectifs ou trop longuement descriptifs. Mais sous ces constantes formelles se discerne une diversité subtilement nuancée. Certes parce que l'on passe d'une ville à l'autre et d'une époque à l'autre. Mais varient, aussi, les personnages et leur inscription dans des rapports changeants entre réalité et fiction : tantôt figures authentiques dont un élément biographique est retenu autour duquel est brodé un récit imaginaire – le séjour parisien d'Edward Hopper, les excentricité vestimentaires de Thelonius Monk, les démêlés de Chet Baker avec la drogue... –, tantôt fictifs dont le destin croise un moment majuscule de l'Histoire – Jim Parker devant régler un compte personnel tandis que sévissent les troupes de Pancho Villa –, ils peuvent encore être aussi imaginaires que leur petit bout d'existence dont on découvre la phase noire et parfois terminale, en quelques pages qui empruntent à la réalité le seul décor (les rues de Lisbonne dans "Rua da Rosa", "Belém") ou tel petit détail technique permettant d'entrevoir l'époque (les débuts de la photo numérique, les premiers réseaux sociaux).
À seulement considérer les principes essentiels de la nouvelle (brièveté, personnages en petit nombre, économie descriptive, absence de digressions intempestives) on dira que celles réunies dans ce recueil cochent toutes les cases. Mais elles sont bien autre chose que des nouvelles "obéissantes", ce qui les réduirait à des textes banalement estimables. Il émane d'elles toutes une force dont je ne saurais définir la source ; toujours est-il que la lecture de ces dix nouvelles laisse en mémoire une trace durable. Qu'une écriture aussi économe puisse produire une si forte impression qui persiste ensuite si longtemps relève du grand art.
NdR - Le recueil contient les nouvelles suivantes : "Rue des Lombards" (inédit), "L'Homme aux doigts d'or" (inédit), "Honda" (inédit), "Just you just me" (inédit), "Tequila" (inédit), "Belém" (in Bairro alto, 2012, avec des photographies de Cyrille Derouineau), "Rua da rosa" (in Bairro Alto), "Sur le sable" (inédit), "Judrez 1911" (inédit), "La Route de Modesto" (2008, Biro éditeur, coll. "KB", avec des photographies de Julien Magre).
Citation
L'endroit vieillissait dans son jus fait de bois ciré, de gravité, et l'ensemble était enveloppé d'une componction censée vous maintenir dans la douleur.