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Grand format
Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais (Irlande) par Patrick Raynal
Barr : Beau jardin, août 2022
276 p. ; 21 x 14 cm
ISBN 978-2-35970-059-6
Coll. "Mauvaise graine"
Dans les ténèbres lumineuses de l'enfance
À l'intérieur du roman policier, il y a comme des sous-genres, des thèmes qui reviennent et où les auteurs essaient de construire une intrigue qui leur est propre, tout en jouant avec les codes de ce genre. C'est le cas avec les récits liés à la fin de l'enfance, la fin de l'innocence, le plus souvent lors des longues plages horaires d'un été agréable et où l'enfant ou l'adolescent va se trouver confronté à l'amitié trahie, l'amour, la mort. Cela a donné déjà lieu, entre autres, à un superbe texte de Stephen King, adapté au cinéma ("Le Corps" pour la nouvelle et Stand by me pour le film de Rob Reiner) ou à celui de Robert R. McCammon, Le Mystère du lac reparu récemment sous le titre Zéphyr, Alabama. Dans ce genre, il y a des constantes - une amitié entre plusieurs enfants, des balades dans la nature, des discussions autour de thèmes propres à l'enfance (les super héros sont-ils plus Comics DC ou Marvel, le gout des glaces, les baignades dans des zones où les parents n'aimeraient pas les voir, des notions d'injustice qui les frappent, un éveil plus ou moins conscient à la sexualité, le plus souvent grâce à des visions des mamans des amis, des soirées où l'on raconte des histoires à faire peur). Dans Black's Creek, Sam Millar raconte l'histoire d'un jeune narrateur, Tommy, futur écrivain, dont le père est shérif. Tout commence au nord de l'État de New York, avec une baignade au cours de laquelle Joey, un jeune garçon, trouvera la mort. Mais, chose étrange, cet enfant a plongé dans le lac, est descendu tout au fond et s'est attaché par des menottes à une voiture. Ce suicide serait dû, pour certains, dont le shérif, aux abus sexuels de Norman Amstrong, dit l'anormal, le projectionniste du cinéma voisin, sur l'enfant. Mais il n'y a aucune preuve. Tommy et deux amis veulent venger leur camarade. Ils ont même un vieux pistolet pour ce faire. Mais peuvent-ils aller abattre de nuit le pervers dans sa caravane ? Et l'un des amis, Brent, n'a-t-il pas d'arrière pensées en voulant effectuer cet acte ? Mais comment lui en vouloir, pense Tommy car aller chez Brent, c'est croiser sa mère, toujours légèrement vêtue et aguicheuse. Lorsque Tommy va rencontrer Devlin, une jeune fille, qui le drague, l'embrasse et vit avec sa mère folle au milieu de la forêt, les choses vont se précipiter...
Black's Creek joue donc bien avec les figures imposées du genre mais sait y insuffler son style. De plus, il ajoute des éléments intéressants (ne serait-ce qu'un final qui remet en cause tout le texte que l'on vient de lire) : un rapport complexe entre le narrateur et ses parents, avec leurs duretés et leurs failles, raconté sans pathos et avec empathie ; la rupture de l'amitié entre Tommy et Brent pour des raisons très importantes, mais qu'aucun des deux adolescents ne peut réellement comprendre (le tout est décrit avec pudeur et force) ; les difficultés de compréhension de Tommy des relations amoureuses (à supposer que ce soit simple pour n'importe qui). Au milieu d'une intrigue policière classique (qui est l'assassin et violeur ? Peut-on arrêter un coupable potentiel sans preuve, voire se venger ?), le roman de Sam Millar s'inscrit dans une "tradition" en en offrant une variation intelligente, sensible et prenante, qui mérite toute notre attention de lecteur.
Citation
Le nom du meurtrier apparait au premier paragraphe, et un sentiment morbide de déjà-vu me ramène à toutes ces années ; vers une époque dont j'avais espéré qu'elle demeurerait ensevelie, des jours et des nuits de folie et de cauchemars, quand j'étais à peine un adolescent fomentant un meurtre de sang-froid...