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Grand format
Inédit
Tout public
Paris : Le Seuil, septembre 2022
404 p. ; 22 x 15 cm
ISBN 978-2-02-151056-0
Coll. "Cadre noir"
Monde écroulé
Adriano, Italien, ancien "soldat" des années de plomb en Italie, a trouvé refuge au Brésil. Mais les élections approchent et c'est le candidat de droite qui les gagne, ouvrant une période d'incertitude pour cet expatrié. Les réseaux de gauche se réactivent pour l'emmener discrètement en Bolivie, où subsiste un gouvernement de gauche. Mais à peine arrivé, Adriano est enlevé et remis aux autorités brésiliennes qui s'empressent de l'offrir à leurs nouveaux amis italiens. Depuis sa prison sarde, Adriano repense à son périple sud-américain. En parallèle, nous suivons, à la fois, en Bolivie et au Brésil, des militants de gauche, plus ou moins effrayés, plus ou moins entrés en résistance, parfois déçus par leurs propres formations politiques, essayer de comprendre pourquoi et par qui ils ont été trahis pour qu'Adriano soit arrêté. Mais ont-ils vraiment envie d'entendre la réponse qui pourrait être encore plus démoralisante que les nouvelles informations politiques ?
Ce nouveau roman de Cesare Battisti est pour le moins déstabilisant. S'inspirant de sa propre vie, et des derniers événements connus, l'auteur n'évoque ni les raisons de son emprisonnement, ni même sa vie carcérale. Même si quelques informations sont données, elles restent très poétisées et élégiaques, comme rapportées par quelqu'un qui décrirait un rêve. L'auteur préfère se concentrer sur les dernières convulsions des mouvements de gauche, les inquiétudes liées à l'arrivée de Bolsonaro, sur le populisme, sur la corruption qui mine les États. Ce qui surnage, c'est surtout une impression de désolation : les partis de droite sont devenus extrémistes, les partis de gauche ont disparu sous les ors du pouvoir et les petits arrangements avec l'idéologie, chacun trahit son prochain et ceux qui restent ancrés dans leurs valeurs sont flingués comme des malpropres alors qu'ils se reposent dans leur voiture. Cette atmosphère de fin de règne contamine tout, y compris les "gagnants". Le récit s'ouvre avec une scène au cours de laquelle les autorités italiennes, qui récupèrent Adriano à sa descente d'avion, ne savent pas comment gérer cette victoire, ayant l'air plus embêté que leur prisonnier. En suivant le destin de certains militants boliviens ou brésiliens qui aident Adriano, se posent des questions sur comment résister au populisme et par contrecoup au peuple que ces militants sont censés défendre. En réfléchissant sur leur passage par le pouvoir qui les a transformé, Cesare Battisti propose un ouvrage qui oscille entre l'amertume d'avoir raté les choses, l'empathie pour ces gens qui ont perdu dans un monde trop coriace pour eux, trop égoïste et signe ce qui pourrait être le chant du cygne des révolutionnaires qui ont perdu leurs repères, un peu comme le film La Fureur de vivre, qui s'intitulait au départ Rebelles sans cause, comme si la Cause s'était délitée dans ce siècle qui aura finalement tout corrompu, les hommes, les ambitions humanistes et la planète.
Citation
La femme en short qui le menotte a l'air désolée. Si Adriano avait assez de salive, il lui dirait qu'il demande pardon à ses enfants, à qui il laisse un monde pire que celui dans lequel il a vécu.