Contenu
Le Labeur du diable. Première partie
Grand format
Inédit
Tout public
Francesco Segala (coloriste)
Grenoble : Glénat, novembre 2022
144 p. ; illustrations en couleur ; 32 x 21 cm
ISBN 978-2-344-04319-6
Vigilante schizophrène
Dans une Cité des Anges infernale, Fathi Beddiar (scénario), Babbyan (Dessin) et Geannes Holland (dessin) nous proposent la croisade d'un homme diabolique et débridé. Le tout truffé de références urbaines, artistiques, culturelles et philosophiques dans un univers dantesque.
Le premier volet sombre, tendance rouge-sang et sans lubrifiant, du Labeur du diable débute par la vision d'un homme ordinaire qui se masturbe au réveil en visionnant des vidéos porno sur son téléphone portable avant de prendre une douche, d'enfiler un costume et de partir au travail. Webster Fehler, tout récent quadragénaire, est tout sauf un juriste dynamique. Renfermé, il subit les brimades de la ville et du cabinet d'avocats où il travaille depuis de trop nombreuses années sans avoir eu la moindre promotion. À la fois intellectuellement supérieur (on s'étonne cependant de ne pas déceler Le Triomphe de la mort, de Gabriele D'Annunzio dans sa riche bibliothèque surprenante chez un Américain en cela qu'elle est très française), solitaire, aux pulsions sexuelles refoulées, Webster Felher coche toutes les cases d'un sociopathe qui ne demande qu'à devenir un tueur en série. Et il va franchir le pas le midi où, de retour d'un banc où il mange régulièrement un hamburger, il va découvrir dans un tunnel sordide une mallette abandonnée qui renferme un insigne de flic des stups', une arme et des liasses de billets. À partir de cet instant, il se transforme, répond à ses collègues (au point de négocier son licenciement), achète un uniforme, va chez le coiffeur et commence à errer dans Los Angeles au volant de sa voiture d'où il va pouvoir laisser exploser ses pulsions violentes avec un aplomb découvert. Et ses pulsions sont nombreuses et de plus en plus violentes.
Si le scénario est très classique, il est bien amené et brasse tous les sous-genres d'une littérature de mauvais genres. Le découpage de la bande dessinée, son chapitrage (avec des exergues qui se justifient) donnent du rythme. On se laisse embarquer dans la croisade revancharde d'un homme à la double-voix. Les auteurs laissent le choix de savoir s'il est schizophrène où si l'univers est baigné de fantastique, et qu'il est réellement guidé par le diable. La réponse est sûrement à mi-chemin des deux. Le dessin regorge de détails urbains violents, tout en offrant des accalmies (et des pages surprenantes qui remontent le temps jusqu'à des périodes immémoriales). Il y a ces pleines pages du journal de Webster au début. Il y a ces quartiers déshumanisés. Et puis du western et des dinosaures pour mieux expliquer les origines de la violence. Et enfin le culte du corps chez un antihéros qui lui confère un aspect nietzschéen. La bande dessinée se conclue par un très riche dossier qui explique les inspirations des auteurs et qui donne envie, là aussi, de se caler dans un fauteuil, une pile de livres et une télécommande à portée de mains. Entretemps, Webster Felher s'est trouvé un héros, un mentor, un ex-flic bardé de médailles qui se trimballe en fauteuil roulant et qui va l'amener malgré lui à optimiser son mode opératoire et à passer une nouvelle étape. D'abord libéré de ses pulsions, Webster Felher va se lancer dans une justice punitive : le vigilante sociopathe est dans la ville, et il va se faire de nouveaux amis, les enquêteurs du RHD, dont il devrait croiser la route dans un second volet que l'on attend avec impatience.
Illustration intérieure
Citation
On va établir une règle claire : quand je te dis de faire une chose, tu la fais. Je ne demande jamais rien. J'ordonne. C'était ton deuxième et dernier avertissement. Recommence et ton séjour en enfer sera une souffrance éternelle.