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La Chambre des diablesses
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Inédit
Tout public
Plongée dans le monde des empoisonneuses
Les Français qui ont un petit peu de connaissances historiques, y compris par le faits divers et le petit bout de la lorgnette, ont entendu parler de l'affaire des poisons qui avait perturbé la fin de règne de Louis XIV. On connait quelques éléments et notamment qu'il y a eu du beau monde - des courtisanes, des maîtresses du Roi -, pour s'être livré à des recherches de potions pour attirer les hommes, tuer les maris ennuyeux et participer parfois à des messes noires avec des abbés, des vrais. Surnage ainsi le nom de La Voisin. Mais il est difficile d'en savoir plus, d'autant que le Roi, effrayé par l'affaire, dit-on, en fit taire les plus sombres aspects, surtout que, par ricochet, il pouvait être touché.
Isabelle Duquesnoy a déjà "côtoyé" la période historique et les thématiques liées à l'empoisonnement et aux autres affaires de sorcellerie. Elle est également précise en ce qui concerne l'aspect féministe de cette "sorcellerie" et le côté érotique qui peut s'en dégager. Elle avait déjà emporté la conviction du lecteur, surtout d'un lecteur, intéressé par les aspects historiques, par la reconstruction de l'époque dans, notamment, La Pâqueline, sorti en 2021. Elle reprend d'ailleurs, non pas des éléments, mais un rythme notamment à travers le regard d'un témoin direct des faits qui raconte ainsi l'Histoire à travers son histoire. Un personnage qui est à la fois complice de ce qui s'est passé mais en même temps innocent. Ici, c'est la fille de La Voisin qui est emprisonnée, accusée d'avoir participé aux avortements, aux meurtres, aux potions, aux messes noires de sa mère. Elle déclare surtout qu'elle a été son élève, car l'on reprend le métier de ses parents, et elle a un regard comme innocent alors qu'elle décrit des horreurs, sa mère envoyant de l'argent aux sages-femmes pour que ces dernières lui fournissent des bébés que l'on pourra sacrifier sur les autels. L'air de rien, elle démonte ce monde cupide, composé de femmes plutôt psychologues et qui jouent sur la crédulité, sur des courtisanes qui veulent se débarrasser de vieux barbons encombrants, sur des abbés adeptes des Lumières et qui préfèrent gagner de l'argent avec des messes satanistes que se dévouer à leur religion. Entre deux visites du chef de la police qui la fait torturer pour avouer, la jeune femme décrit avec soin, humour, sans négliger la vie sexuelle, l'ambiance à la fois criminelle et presque "normale" de ces gens qui dorment au milieu de mains de pendus qui sèchent au plafond, de femmes qui viennent pour un horoscope et repartent avec une poudre qui permettra d'hériter d'un vieux mari ou d'un père trop sévère, de visites dans des couvents où l'avortement est presque pratiqué de manière industrielle, le tout sans juger, comme on raconte une histoire, avec un style qui évoque les envolées du XVIIIe et des Lumières (même si le récit se situe un peu avant).
C'est dans l'idée de procès, de morts, d'empoisonnements, que le lecteur pourra nourrir son côté "roman noir", mais il n'en reste pas moins que le roman est plus destiné aux amateurs de récits historiques qui y trouveront une voix intéressante, intelligente, restituant tout le sel d'une époque, sans le besoin de développer des intrigues populaires, car la réalité du siècle de Louis XIV se révèle plus comploteuse, plus sombre, plus ancrée sur la lutte des classes que certains récits hard boiled américains. Un grand bol d'air, où l'on frémit et l'on rit avant de découvrir un monde comme si Isabelle Duquesnoy y avait vécu.
Citation
À cinq heures du matin, le jour anormalement doux peine à se lever en ce mois de février. Trente-quatre exécutions annoncées par l'aboyeur public, mais les spectateurs se sont déplacés pour n'en contempler qu'une ; ils piaffent d'impatience de voir crever Maman.