Contenu
Poche
Réédition
Tout public
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Jacques Mailhos
Paris : Gallmeister, avril 2023
362 p. ; 18 x 12 cm
ISBN 978-2-35178-731-1
Coll. "Totem", 242
Tragédie shakespearienne
Peut-être l'un des romans de la série autour du personnage de Lew Archer le plus abouti, La Face cachée du dollar repose paradoxalement sur une intrigue classique aux tenants prévisibles. Il n'empêche que sa lecture, agrémentée d'une nouvelle traduction de Jacques Mailhos, est addictive au possible, et que ce qui intéresse se résume à une longue liste d'éléments parmi lesquels l'aspect psychologique omniprésent, les personnages fouillés, décortiqués, analysés et la mécanique humaine qui s'en dégage. Tout débute avec Lew Archer, détective de son état, appelé par le directeur de Laguna Perdida, une maison de redressement en périphérie de Los Angeles. Le docteur Sponti fait appel à ses services après la disparition de Tom Hillman, fils d'une famille aisée, qui venait juste d'y être "admis" à la demande de son propre père. Il avait volontairement démoli la voiture de ses voisins, qu'il avait empruntée on ne sait pourquoi, mais suite à une mauvaise passe. Alors, Lew Archer enquête. Et très vite se dessine un portrait aux contours contrastés. Surtout, peu après son évasion, ses parents reçoivent une demande de rançon avec ordre de ne pas prévenir la police (qui interviendra cependant plus tard en la personne d'un flic sympathique, Bastian, qui n'hésitera pas à collaborer avec le détective). Mais Lew Archer n'est pas la police. Et surtout, il est obtus. On l'a mis sur cette enquête, il l'a acceptée, et puis dans cette histoire, c'est peut-être le seul à s'intéresser à Tom Hillman, cet adolescent qui de toute évidence en est à un stade de grande confusion. Enfin, il y a un premier meurtre au poignard...
Fidèle à son écriture métaphorique et mélancolique, qui le place à mi-chemin entre la sécheresse de style de Dashiell Hammett et l'écriture élégiaque de Raymond Chandler, Ross Macdonald nous trimballe dans sa ville et nous fait visiter le rêve américain fissuré symbolisé par un hôtel décati, le Barcelona, tenu par Sipe, un vigile qui passe son temps à cuver. Plusieurs couples de personnages se démarquent dans cette intrigue. En premier lieu, Tom Hillman et Stella, la fille de ses voisins, amie d'enfance et petite amie en devenir. Ensuite, les deux couples d'adultes qui sont voisins, les parents de Tom et de Stella. Puis il y a Mike et Carol Harley, un very bad guy, looser impénitent, et une actrice qui rêvait de devenir star, qui ont un rapport avec l'enlèvement. Enfin, Lew Archer, lui-même et Susanna Drew, une figure revenue du passé pour le hanter et qui se trouve mêlée à cette histoire. Sans compter les nombreuses interactions binaires entre personnages. Faut dire que les fils s'emmêlent à mesure que les cadavres s'amoncellent. Et que tous semblent provenir d'un porte-avion pendant la Seconde Guerre mondiale, qui a opéré à Midway, révélateur des troubles de l'Amérique. Mais Ross Macdonald ne s'en tient pas à cet unique élément. Comme ses deux confrères précités, il note que la bourgeoisie est malade et qu'elle baigne en pleine tragédie shakespearienne (à laquelle fait justement référence Elaine Hillman). Les non-dits sous-jacents ne veulent et ne peuvent qu'exploser. Et dans ce roman, c'est bien ce qui arrive. Avec un message qui sous-tend le final : il faut continuer de faire semblant de vivre tout en sachant que les dollars ne peuvent pas tout acheter.
Citation
La valise était un vieux modèle en cuir tout éraflé frappé des initiales de Rob Brown. Je la tirai au milieu de la chambre et l'ouvris. Je me revis soudain au Dack's Motel en train d'ouvrir l'autre valise de Carol. La même odeur de regrets s'éleva du contenu de celle-ci et sembla envahir la chambre.