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Polices des temps noirs : France 1939-1945
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Tout public
Quand la police sert les bourreaux
Entre 1940 et 1944, la France, occupée, est découpée en deux zones distinctes, avec leurs administrations propres : au nord, l'armée d'occupation allemande, qui regroupe tous les pouvoirs et, au sud, le régime de Vichy, qui tente de conserver ses prérogatives, fussent-elles honteuses. Et au milieu de tout cela, évidemment, la, ou plutôt, les polices, nécessaires aux nouveaux maîtres du pays pour maintenir un ordre illusoire. Des polices multiples : allemandes, françaises, nationales, municipales, civiles, militaires complétées de diverses officines que seule l'époque pouvait rendre légitimes. Une mosaïque où les missions habituelles de la police cèdent le pas devant des actions de répression politique ou raciale auxquelles les services se prêtent avec plus ou moins d'entrain. Pourtant, au sortir de la guerre, De Gaulle décerne à toute la préfecture de police de Paris, dont on connaît pourtant les exactions pendant l'Occupation, la Légion d'Honneur pour son rôle dans l'insurrection de Paris. Plus tard, au contraire, cette même police se voit accusée de tous les maux, considérée comme un soutien actif des nazis. Alors, héros ou salauds les flics de l'Occupation ? Quel service a bien, ou mal, agi dans cette nébuleuse d'acronymes que l'on réunit facilement et à tort sous le nom de Gestapo française ?
Historien de la police, à laquelle il a déjà consacré plusieurs ouvrages, Jean-Marc Berlière est, au fil des ans, devenu LE spécialiste de cette période trouble de l'histoire nationale, avec entre autres le très recommandable Policiers sous l'occupation ou le documentaire Règlement de comptes à l'institut qui traite de l'épuration. Chercheur opiniâtre, c'est dans les archives, dans toutes les archives, qu'il va puiser la matière à son travail de reconstruction d'une histoire trop souvent tue et dévoile, avec les mille quatre cents pages de Polices des temps noirs, l'incroyable complexité du réseau de forces de police mis en place en France par Berlin ou Vichy. Passionnant comme un roman, son dictionnaire exhume procès verbaux, minutes de jugements, circulaires et autres courriers dissimulés dans les tréfonds des archives pour expliciter au mieux chaque service et chaque mission. Au fil du récit, on croise nombre de figures devenues tristement célèbres par le biais de fictions, comme le sinistre Louis Sadoski au parcours romancé par Romain Slocombe, mais aussi des gangsters ayant initialement officié comme tueurs de nazis pour le compte de la mafia marseillaise (Pierre Loutrel, alias Pierrot le Fou, Abel Danos ou Émile Buisson) avant de rejoindre la Gestapo française, la Carlingue d'Henri Lafont. On y rencontre des Cagoulards nostalgiques, d'authentiques fascistes, des petits trafiquants, des escrocs, des magouilleurs, mais aussi quelques vrais héros, qui ont utilisé leur rôle de policier pour sauver des vies. Sans le moindre manichéisme, Jean-Marc Berlière ne dénonce personne, ne donne pas de gages de bonne conduite. À rebours d'un récit national qui se construit à grands traits, quitte à occulter la vérité au profit de la paix des esprits, il écrit, archive après archive, une histoire définitive du rôle des polices dans les atrocités du conflit, et signe une somme aussi glaçante qu'indispensable.
Citation
On a tendance à l'oublier, en dépit de son actuelle sacralisation et des fantasmes néopositivistes nés de l'ouverture d'archives 'interdites', l'archive ne 'dit' rien ou bien souvent n'importe quoi. C'est le travail des historiens de la 'faire parler'.