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Grand format
Tout public
186 p. ; 20 x 13 cm
ISBN 979-10-375-1093-8
Coll. "Equinox"
Retour sur un chamboulement
"Le Gris" est le surnom donné à un adolescent qui a été condamné à de la prison. En cet été 1991, il vient d'en sortir et doit rentrer à pied jusqu'à Kaliningrad pour retrouver sa mère et (il l'espère) sa fiancée. Mais il est aussi chargé d'une mission pour le compte d'un vieux prisonnier, un caïd : transmettre une information à son groupe criminel. Alors qu'il se met en route, il découvre que pendant son incarcération des événements ont troublé le pays. Gorbatchev a lancé une série de réformes et on vient de tenter de le renverser. C'est dans cet atmosphère un peu crépusculaire, car personne ne sait trop ce qui va arriver dans ce chaos, que le jeune homme entreprend son périple de retour. Un voyage qui va lui permettre de rencontrer des truands qui vont le charger eux aussi d'une mission bien trop dangereuse, de croiser des gens du peuple qui ne savent trop comment agir, une jeune femme qui couche avec lui, des militaires qui le dépannent... Au cours de ce trajet, c'est également l'occasion de discuter et de se poser des questions, notamment sur l'avenir du pays, sur comment essayer de devenir libre, sur les corruptions et les tentations de reprise en main du régime. De plus, le personnage se rend du côté de la mer Baltique et la question qui se pose est aussi celle des indépendances possibles et de ce qui pourrait advenir des poussières de l'empire russe ou soviétique.
Benoît Vitkine, après un essai intelligent et stimulant sur la jeunesse embrigadée qui soutient Poutine en 2011 (Les Nachi, ou la construction d'une "jeunesse du pouvoir" russe) a écrit deux polars maîtrisés, connaisseurs des endroits et des personnes, ne masquant pas les "détails" qui peuvent fâcher comme la corruption ou les oligarques, qui prennent comme décor l'Ukraine. Dans ce nouvel opus, plus court, c'est une balade où l'on suit un personnage unique, un jeune homme qui découvre la transformation de son pays, d'un moment important où tout peut basculer d'un côté ou de l'autre, vers la démocratie, vers un retour à une dictature ou vers un système avec de nouveaux maîtres potentiels. Le récit permet d'esquisser toutes ces options, de ne pas choisir, mais de laisser le lecteur comprendre de l'intérieur comment cela a fonctionné ou même comme cela aurait pu fonctionner différemment. L'enclave désigne à la fois Kaliningrad, ville russe encerclée dans un territoire anciennement balte, et une enclave temporelle, un moment où les événements auraient pu prendre une autre tournure. Même si le personnage est un prisonnier, qu'il va se frotter à d'autres criminels avant d'arriver, le roman n'est pas un polar au sens strict du terme, mais reste un texte noir sur un monde hésitant entre plusieurs chemins. Le fait que nous connaissions, contrairement au Gris, la suite, renforce le côté noir et les prémonitions complexes des passants du livre qui rêvent de liberté dans une région où cela reste visiblement un rêve. Plus intéressant qu'un long discours théorique, un récit intelligent, qui fait réfléchir tout en restant une intrigue lisible et intelligemment menée.
Citation
Le Gris revoit les plantons de la base sur la Baltique, et aussi les types maigres qui l'ont pris dans leur camion, les querelleurs et les chanteurs... Il est comme eux, des pieds aux oreilles décollées. Il a été façonné comme eux. Pensée déprimante et rassurante à la fois.