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Grand format
Réédition
Tout public
Paris : Joëlle Losfeld, avril 2024
246 p. ; 19 x 13 cm
ISBN 978-2-07-306114-0
Coll. "Arcanes"
Chroniques d'un homme déchu
Jean Meckert est un auteur qui a une œuvre bien singulière. Avant la Deuxième Guerre mondiale, il a ainsi produit une fresque sociale importante, littéraire, assez dans l'air du temps, centrée autour de personnages du peuple, souvent déclassés, en prises avec les problèmes politiques et sociaux de l'époque. Succès d'estime que la guerre va très vite estomper. Après un passage plus difficile avec de nombreux romans sous pseudonymes, la "Série noire" va lui proposer de revenir en littérature en le publiant plus d'une vingtaine d'années sous le pseudonyme de Jean Amila. Toutefois ses textes parus avant guerre ne sont pas mauvais, loin de là, et s'inscrivent bien dans la littérature noire et poisseuse de la période avec de petites gens qui doivent brûler la chandelle par les deux bouts, des rêves d'une vie meilleure par l'action individuelle ou collective, des relations complexes avec les contemporains... Il n'aurait fallu que le coup de pouce d'une adaptation cinéma avec Gabin ou Arletty pour obtenir une reconnaissance que d'autres, comme Eugène Dabit, par exemple, ont eu. Aussi, est-ce une très bonne idée que les éditions Joëlle Losfeld (et également pour d'autres textes les éditions Joseph K.), rééditent ces romans. La Lucarne,neuvième de la série, est symptomatique de l'écriture, du style et des thématiques habituelles de l'auteur.
Édouard Gallois est un jeune homme, marié à une jeune femme. Comptable, il a été licencié et est devenu chômeur. Tandis que sa femme continue à faire bouillir la marmite, s'énervant de plus en plus car "elle a d'autres personnes qui s'intéressent à elle" dit-elle pour le remotiver, Gallois se trouve en cette fin 1938 dans toute l'ambiance munichoise. Il veut la paix et, entre deux petits boulots de vente de cravates à la sauvette, il veut créer un grand mouvement pacifiste. Un soir, alors que sa femme de plus en plus énervée a un geste que lui envisage comme une tentative de meurtre à son égard, il bascule dans sa vie fantasmée et va décevoir les derniers qui croient encore en lui.
Roman noir, dans la mesure où la description est celle de l'échec d'un individu dans une époque où tout semble se déliter (à la fois les liens sociaux, amicaux, familiaux et même sentimentaux), d'un personnage qui semble s'enfoncer dans ses propres obsessions plutôt que d'essayer de survivre dans la réalité, La Lucarne est parcouru par la paranoïa et la psychose, par des idées récurrentes de meurtre, pour dresser le portrait d'un homme ordinaire dans une époque troublée (l'avant-guerre qui pointe, l'économie qui se délite), se déroulant entre deux fêtes populaires où le personnage percevra de manière différente les flonflons qui l'accompagnent. On retrouvera toute l'ambiance des romans sombres de Jean Meckert, et ceux de cette époque au sein d'une réédition intelligente (avec une préface éclairante de Stéphanie Delestré et Hervé Delouche) d'un roman intéressant et qui a toute sa place dans une bibliothèque.
Citation
La faim aussi l'avait pris. Il avait acheté des croissants dans une boulangerie. Ils étaient rassis et faisaient tousser. Il avait bu de la bière au comptoir, un peu plus loin. Personne ne faisait attention à lui. Il était seul, seul avec une fatigue sourde et une immense envie de pleurer.