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Zoran Drvenkar : ne pas mourir intérieurement
© Corinna Bernburg
k-libre : Qui êtes-vous exactement ? Pouvez-vous vous présenter ?
Zoran Drvenkar : Je suis un romancier issu d'une famille de gens colériques qui ne lisaient jamais, à une exception près. Ma tante Nada était une poétesse ratée. Comme son père lui avait dit qu'écrire ne lui permettrait jamais de gagner sa vie, elle décida de devenir secrétaire. La malédiction a passé une génération sans se manifester, mais m'a été transmise. Je suis donc devenu le gamin qui se met à lire à cinq ans et qui est un élève déplorable à l'école, parce qu'il a en tête toutes sortes d'histoires qui n'ont rien à voir avec la chimie ou les maths. À quatorze ans, j'ai écrit mes premiers poèmes ; à seize, j'avais copié tous les auteurs que j'aimais et, peu à peu, j'ai appris à trouver ma propre voie. Après treize infructueuses années d'école, l'écriture a pris le dessus, et je ne me suis plus arrêté.
k-libre : Pourriez-vous résumer l'intrigue du roman ?
Zoran Drvenkar : Quatre amis découvrent une nouvelle idée commerciale. Ils sont gentils, naïfs et aiment ce qui leur arrive. Ils ne s'attendent pas à ce que les ténèbres les engloutissent peu à peu. L'auteur ne s'y attendait pas non plus. Le reste dépend du lecteur.
k-libre : Sorry est-il vraiment tel que vous l'aviez voulu ?
Zoran Drvenkar : Au début, je voulais écrire un roman à propos de quatre amis qui ont une idée de génie et montent une affaire pour l'exploiter. Ce devait être un roman critiquant notre vie sociale et la façon dont nous nous comportons les uns vis-à-vis des autres. Je savais qu'il y avait plus que ça, mais j'ignorais à quel point. Après cent cinquante pages, cette histoire m'a fait peur, alors que deux personnages que je n'avais pas prévu s'y sont invités. Ils sont apparus en cours d'écriture, je leur ai laissé un peu de place, et l'histoire s'est retournée contre moi au point de me terrifier moi-même. Je l'ai abandonnée pendant deux ans et dans l'intervalle, j'ai écrit trois romans jeunesse pour me détendre. Mais un auteur doit être loyal envers ses propres livres et, surtout, ses personnages. Donc, je m'y suis remis et j'ai transformé un hiver en une longue nuit. J'espère ne jamais devoir recommencer.
k-libre : Sorry est une histoire de culpabilité et de pardon. Est-ce pourquoi les rites sadiques de mort et de torture sont parfois liés au christianisme ? Par exemple, la mort de Fanni est assez Christique...
Zoran Drvenkar : Il n'y a pas de lien avec le christianisme. La façon dont meurt un des personnages est expliquée plus tard dans le roman et s'avère logique. Lorsque je suis arrivé à la fin du roman, je cherchais toujours un mobile, et un ami m'a suggéré d'en faire une affaire religieuse. Je n'ai pas suivi son conseil, parce que pour moi, la religion est une excuse pour ceux qui refusent de prendre leur responsabilité et sont incapables de prendre leur vie entre leurs mains. Je ne voulais pas aller dans cette direction. C'est vieux, usé et ennuyeux. En tant qu'écrivain, il vaut mieux chercher de nouvelles voies.
k-libre : Pourquoi avoir situé les bureaux à Wannsea ?
Zoran Drvenkar : C'était un bon décor, avec un joli paysage, et je savais de quoi je parlais.
k-libre : Pourquoi ce choix de quatre amis ? Quelle partie de vous représentent-ils ?
Zoran Drvenkar : Principalement des gens que je connais ou connaissais. Je n'écris jamais exclusivement pour moi. Il y a toujours des bouts de l'un ou de l'autre, mais en général, les personnages finissent par grandir tout seuls et empruntent à la vie ce que la vie les laisse emprunter.
k-libre : Des corps torturés et profanés, vivant ou morts, sentant la corruption... Telle est la thématique du roman. Pouvez-vous nous en parler ?
Zoran Drvenkar : Non. Et pas parce que cela n'a aucun intérêt, mais parce que ce n'est pas une thématique sous-jacente. Mes thèmes sont bien plus évidents. L'amitié, la confiance, l'amour. Les dangers de l'amour, l'amertume de la haine, la main sale du destin. Et pas mal de colère et de malentendus. Tout ce dont vous parlez — la torture, etc. — n'est qu'un bruit de fond, des échardes sous votre peau.
k-libre : Avez vous vu l'exposition de Gunther Von Hagen Our Bodies ?
Zoran Drvenkar : Pas question. Cette idée ne me plait guère. Je n'aime pas non plus l'exposition d'organes génitaux où on enfonce un concombre, ou les gens qui se vomissent dessus. S'il y a un lien, dites-le moi.
k-libre : Que pensez-vous de la controverse autour de cadavres transformés en œuvres d'art ?
Zoran Drvenkar : Ce n'est pas de l'art, mais une façon de choquer les blasés qui se tournent vers ce qu'il y a de plus morbide parce qu'ils ne se contentent plus de la télévision. Laissez-les pourrir, ils ont déjà bien assez souffert de leur vivant.
k-libre : Le génocide en Allemagne revêt-il une importance particulière de par votre ascendance croate ?
Zoran Drvenkar : Non.
k-libre : En général, dans les polars, les pédophiles sont des pervers dangereux, mais faciles à reconnaître. Vous les montrez comme des individus au discours raisonnable, rationnel, et qui semblent y croire ("Fanni" est heureuse de revoir "Lars"). Vous employez un ton neutre, glaçant qui rend le tout encore plus angoissant. Comment avez-vous fait ce choix ?
Zoran Drvenkar : Il n'y avait pas vraiment à choisir. Il me fallait rentrer dans l'esprit de mes personnages et les définir tels qu'ils sont. Je ne peux savoir comment ils vivent, pensent et respirent en réalité. Je ne fais pas de recherches, je ne lis pas de dossiers ou de rapports. Tout ce qui compte, ce sont mes personnages et mon exaspération face à un monde où, à chaque minute, des crimes sont commis envers des enfants, un monde où on continue de mener nos petites vies, où des cadavres nous sont présentés en guise de distraction, et au final, il nous faut détourner les yeux, sinon, à chaque fois qu'un enfant est molesté, on périrait de mort lente au plus profond de notre âme. Et c'est le plus dur : ne pas mourir intérieurement. Pardon, voilà que je m'égare. Revenons à mes protagonistes. Il est facile de pointer du doigt ces personnages et d'en faire des cibles faciles. Le plus effrayant est encore de les laisser vivre dans votre esprit et les laisser être eux-mêmes. Ils sont votre création, votre responsabilité, et au final, vous devez vous en débarrasser.
k-libre : Comment conçoit-on une construction passant d'un ton narratif à un autre (je, tu, il) ?
Zoran Drvenkar : Quelqu'un doit entrer dans l'histoire et apporter de l'espoir. Je ne cesse d'expérimenter tout en écrivant. Je change le style, la perspective, voir comment ça marche comme ça ou comme ça. Parfois, on sent un personnage, mais on ne peut pas le mettre en mots. Donc, on change de narration afin de se rapprocher de son essence, et également du lecteur. C'est pour ça que j'adore écrire à la seconde personne. Le lecteur devient le personnage. On ne peut en être plus proche.
k-libre : Vous écoutez de la musique en écrivant ?
Zoran Drvenkar : C'est très important en effet. Chaque roman a sa propre bande annonce. La musique me guide, change le cours de l'action, me fait briser des éléments que je n'aurais jamais voulu briser. Le silence est l'intermédiaire idéal. Sur mon site vous trouverez mes groupes, les chanteurs et les sons.
k-libre : D'après le romancier mexicain Martin Solares, nous avons tous nos moments de ténèbres. Qu'en pensez-vous ?
Zoran Drvenkar : Nous sommes remplis de moments de ténèbres. Pas besoin de vampires, de monstres ou de mutants. J'ai toute l'humanité devant moi. Il n'y a rien de plus effrayant. Ces ténèbres font partie de nos vies. On les contourne, on tente de l'éviter, on tente de rester dans la lumière, mais les ténèbres ne sont jamais bien loin et dès qu'on baisse notre garde, elles sont là, à frapper à la porte de notre cerveau en nous suppliant de les laisser entrer.
k-libre : Pour finir, à qui voulez-vous demander pardon ?
Zoran Drvenkar : Surtout à mon chien, Lucky. C'était un petit caniche russe qui ressemblait à Bob Marley un soir de cuite. Je l'adorais, mais ne m'en occupais pas assez. Un jour, j'ai voulu voir ce qui se passerait si je pulvérisais du parfum sur son nez. Comment dire à un chien que vous êtes désolé, que vous avez fait une connerie ? Toutes mes autres excuses iront aux personnages de mes romans. Désolé pour tout ce que je n'ai pu éviter d'écrire, pardon de ne pas avoir pu vous sauver tous.
Propos aimablement traduits par Thomas Bauduret
Liens : Zoran Drvenkar | Sorry Propos recueillis par Laurent Greusard