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Les Soldats de la nuit
Grand format
Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Jean Esch
Paris : L'Olivier, juin 2010
560 p. ; 22 x 15 cm
ISBN 978-2-87929-695-1
Les nouveaux gentilshommes de fortune
Les soldats de l'ombre sont ceux qui commencent à se lever à l'orée des années 1930 et à œuvrer justement dans l'ombre des soldats en uniforme. Un peu partout dans le monde, avec l'arrivée massive de départements d'espionnage, il importe de former une multitude d'agents et de poser une gigantesque toile dont le but premier est de contrecarrer les agences ennemies (et même bien souvent celles des pays alliés). À l'instar de "Lucien", ancien publiciste américain, membre de l'OSS et qui organisa des réseaux de résistance en France, ces soldats de l'ombre, une fois de retour au pays, sont condamnés à ne pas parler de ce qu'ils ont fait, et à minimiser leur rôle dans la guerre, quitte à passer pour des planqués. Dans l'ombre tu as été, dans l'ombre tu resteras.
En 1934 en Bulgarie, les fascistes s'imposent au pouvoir, et dans la rue font régner la terreur. Khristo Stoïanev voit sont frère se faire tabasser à mort. Les agents du NKVD, le service secret russe de Staline, sont aux aguets du moindre élément revanchard qui pourrait être retourné. Stoïanev se retrouve à Moscou où il subit un entraînement rigoureux et dangereux : la mort est au tournant et frappe les éléments les moins intelligents mais aussi ceux qui font étalage de leur intelligence. Sa formation terminée, il va se retrouver en Espagne durant la Guerre civile, puis en France sous l'occupation allemande avant de retourner en Bulgarie à la fin de la Seconde Guerre mondiale à la recherche de ses racines.
Avec Les Soldats de la nuit, Alan Furst continue son œuvre consacrée aux romans historiques d'espionnage. Il s'attarde sur cette première génération d'espions du NKVD sur un rythme épique. L'on suit avec fascination et effarement cette partie d'échecs initiée par Staline. L'effet hautement retors d'une administration russe capable de privilégier une épuration interne et par là-même contribuer à la perte de ses objectifs (l'épisode historique de la Guerre d'Espagne avec la volonté de Staline de récupérer l'or espagnol et d'éliminer le POUM est tout bonnement retranscrit de façon ahurissante). Autour de Stoïanev, d'autres héros de l'ombre, véritables caractères dotés d'un humanisme étonnant, d'une conscience sans cesse mise à l'épreuve, et d'un honneur ou irréprochable ou calculateur, dont la plupart vont mourir plus ou moins dignement. Stoïanev est peut-être le dernier des héros romantiques. Dans une guerre terrible où le fracas des chars s'associe aux bombardements intensifs, lui va son petit bonhomme de chemin, entre dans la Résistance française par choix, découvre des gens ordinaires qui agissent de façon extraordinaire, pour qui les notions de liberté et de solidarité veulent dire quelque chose, et implique qu'ils se mettent en danger, tout naturellement, presque sans réfléchir. Mais sans cesser d'être observé par ses amis ou ennemis du NKVD (on ne sait pas toujours, il est un pion fou lâché dans un monde en fureur, et seules ses aptitudes font qu'il échappe à la mort par le NKVD : on peut toujours avoir besoin de lui). Il est là, actif et pourtant traverse une époque chaotique sans prendre gare à sa petite personne, comme s'il était fataliste ou pire, qu'il n'attache aucune importance à sa vie. Alan Furst réalise là peut-être son roman le plus magistral, avec une tension omniprésente et une qualité narrative d'exception. Mais c'est là le talent d'Alan Furst : ce genre de remarque peut s'écrire pour chacun de ses nouveaux romans édités en français, et l'on se prend à se demander pourquoi il a fallu plus de vingt ans pour le découvrir en France.
Citation
C'est un grave travers de notre caractère, de notre tempérament slave. Nous souffrons d'une noirceur de l'âme et nous tombons amoureux de notre malheur.