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Nous sommes des clones d'un genre particulier. Il n'y en aura toujours qu'un seul à la fois, mais on en créera autant qu'on en éliminera. Pense à moi comme une sorte de mauvaise herbe particulièrement vivace et tu seras encore en dessous de la vérité !
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Paul Cleave : bienvenue à Crimechurch

Samedi 07 janvier 2012 - L'interview s'est déroulée place de la Sorbonne au tout début du mois de juillet, à un moment où la Coupe du monde de rugby n'avait pas débuté. Paul Cleave, comme tout bon Néo-Zélandais, est un fervent supporter des All Black. Sa crainte était que son équipe fétiche retrouve les Français et leur French flair en finale. Il s'en est fallu de peu que les Bleus déjouent les pronostics et confirment ses peurs. Mais Paul Cleave n'était pas venu pour parler de ce monde d'Ovalie jusqu'au bout de l'après-midi. L'auteur qui s'était fait remarquer l'année dernière avec la publication en France d'Un employé modèle, premier thriller à l'humour féroce et aux idées quoique déjantées pas toujours canalisées, revient avec un second opus (le quatrième dans les faits au pays des Kiwis) plus mature où les idées sont toujours aussi noir-farfelu, dans un style vraiment caustique et un univers très sombre. Alors Un père idéal serait-il le premier grand thriller noir ? Il est un peu tôt pour statuer, mais ce qui est sûr c'est que la lecture devient asphyxiante au fil des pages, et que le roman n'en est que plus intéressant du début à la fin, instant forcément fatidique où la noirceur prend le risque de nous jouer un mauvais tour. Il n'en fallait guère plus pour lui poser quelques questions. Ce qui fut fait. En voici les réponses...
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© D. R.



k-libre : Paul Cleave, pouvez-vous nous dire qui vous êtes ?
Paul Cleave : Je suis un écrivain. J'en vis, c'est mon boulot. J'adore le faire, sûrement comme vous.

k-libre : Souffrez-vous de schizophrénie paranoïaque ?
Paul Cleave : Non, je n'ai pas ce problème. Enfin, je crois. Je ne suis pas mes personnages !

k-libre : Freud disait "montrez-moi quelqu'un de normal, je m'empresserai de le guérir". Que pensez-vous de cette citation qui colle à vos personnages, justement ?
Paul Cleave : Je pense que c'est une bonne citation, tout le monde a des problèmes. J'ai plein de petits problèmes que je souhaiterais ne pas avoir, mais sans cela nous aurions un monde parfait.

k-libre : Un père idéal est votre second roman publié en France après Un employé modèle. Votre écriture est similaire, mais votre intrigue est très différente, plus noire. Pourquoi ?
Paul Cleave : Il s'agit de mon deuxième livre publié ici, mais dans les faits c'est le quatrième que j'ai écrit. Je sais qu'il est bien plus noir que qu'un Employé modèle, mais mon écriture devient de plus en plus noir à mesure que vous lisez mon deuxième, mon troisième et donc mon quatrième roman. Un père idéal parait donc forcément bien plus noir quand on a lu que le premier. Le décalage me semble évident. J'ai écrit Un employé modèle en 1999-2000 et Un père idéal en 2008. Mon écriture a beaucoup changé en huit ans, alors même que je me cherchais. Mon style, et comment je voulais écrire aussi par la même occasion. Écrire Un père idéal est ce qui ressort de cette recherche, et correspond bien plus à ce que je veux faire. Il est noir dans le sens où vous avez ce personnage principal, dont la femme a été tuée, alors qu'avant ce chapitre sanglant, le livre est assez léger et les personnages sont heureux. Quand soudain sa femme décède, le roman passe du rose au noir. Et plus le roman devient noir, plus mon personnage voit les choses en noir. C'est un homme qui accumule de la colère tout du long de l'intrigue.

k-libre : Vous avez décidé d'écrire à propos du fils d'un tueur en série. C'est un choix surprenant...
Paul Cleave : J'étais en Europe il y a quelques années. À mon retour, je n'avais aucune idée du genre de livres que je voulais écrire. À une soirée, quelqu'un jouait la chanson "Son of a Preacher Man", et je me suis dit que ça serait cool s'il s'agissait du fils d'un serial killer ! Je suis rentré me coucher avec cette idée en tête. Une demi-heure plus tard, je me relevais pour écrire quelques idées. J'ai passé comme cela une nuit à me coucher puis à me relever pour écrire. De sorte que quelques heures plus tard, j'avais le premier chapitre. Je n'avais jamais vu de films ou lu de livres traitant d'un fils de tueur en série. Vous pouvez jouer avec la question du "Est-ce qu'un tueur en série naît ainsi ou est-ce qu'il le devient ?" Dans Un employé modèle il est créé, mais dans Un père idéal, on se demande si c'est génétique ou non.

k-libre : Jack Hunter est comme Joe Middleton, un employé modèle. La différence principale est qu'il semble avoir une vie normale, une femme charmante, une fille gentille, de bons projets. La bête qui est en nous tous, nécessite-t-elle un événement noir pour s'éveiller ?
Paul Cleave : Exactement. Au fur et à mesure que vous avancez dans le livre, vous voyez que Jack est un type normal, puis il perd sa femme, et il commence à agir bizarrement, à entendre une voix qu'il entendait quand il avait neuf ou dix ans. Il a travaillé toute sa vie pour réprimer cette voix. Il avait réussi, mais cet événement tragique la ranime. Tout comme Joe, ce n'est pas un mec bien car il aime tuer des gens, et il ne s'en excuse pas auprès du lecteur. C'est juste ce qu'il aime faire. Ce n'est pas vraiment qu'il entend une voix, c'est Joe qui est là.

k-libre : Jack Hunter dans Un père idéal souffre de schyzophrénie paranoïaque, comme son père. Qu'est-ce que vous pouvez nous dire à propos de ce trouble du comportement et de ses conséquences ?
Paul Cleave : Quand j'écrivais Un père idéal, je voulais que Jack n'ait pas seulement une noirceur à l'intérieur. Je voulais aussi lui trouver une raison médicale. Pourquoi est-il ainsi ? Le rendre crédible. J'ai lu pendant des heures des rapports, des témoignages de gens qui croyaient recevoir des ordres de Dieu, de leur télévision, ce genre de choses. Et dans le cas de Jack, il a cette noirceur à l'intérieur. Il croit réellement qu'elle est présente. Il a été médicamenté pendant une vingtaine d'années, la voix a disparu, puis il a arrêté de prendre ses médicaments et, évidemment, la voix est revenue. Alors père et fils entendent cette voix, et d'un point de vue génétique, le fils croit que c'est la même voix que son père, mais dans les fait il s'agit bien deux voix différentes.

k-libre : Que pouvez-vous nous dire à propos des procédures en Nouvelle-Zélande ? Dans Un père idéal, Jack Hunter ne fait pas confiance à la police, mais dans le même temps il ne veut pas être comme son père et faire justice lui-même.
Paul Cleave : Avant tout, il ne fait pas confiance à la police parce que s'il le faisait, il n'y aurait pas d'histoire ! Mais je crois que c'est la voix qui le convainc de prendre ses médicaments, sinon dans la vraie vie, la police l'aurait déjà mis en prison comme son père pour être sur qu'il ne fasse rien de dramatique. C'est pourquoi je préfère écrire du point de vue des gens normaux plutôt que de celui de la police. En plus, il faut savoir exactement comment se déroulent les procédures.

k-libre : Au même moment, les gens de Christchurch pensent qu'il est comme son père...
Paul Cleave : Je pense qu'il n'est en rien comme son père, car il a grandi. Il a en tête cette idée que tout le monde le regarde toujours comme s'il allait être le prochain tueur en série du fait de son père. Il a toujours l'impression d'être jugé, ça fait partie de sa maladie. Ils ne savent pas qui il est. Ils ne le jugent pas mais il n'en a pas conscience.

k-libre : Et en même temps, il a une gentille fille. Il se pourrait qu'elle soit fille de tueur en série, déjà qu'elle est la petite-fille d'un tueur en série. Deviendra-t-elle une tueuse en série ?
Paul Cleave : C'est une question intéressante. Si la génétique a quelque chose à voir là-dedans, Jack se demande si sa fille, arrivée à vingt ou vingt-cinq ans, est confrontée a un meurtre, comment la police réagira face à elle. Sera-t-elle considérée comme la coupable ? Si son père est attrapé par la police, et est jugé coupable, elle souffrira, du fait d'avoir un père et un grand-père tueurs en série. Les enfants qu'elle pourrait avoir en souffriraient eux aussi. C'est un cycle infernal !

k-libre : Comment peut-on faire face, affronter un tel héritage familial ? Comment vivre avec un tel poids ?
Paul Cleave : Si ça devait m'arriver dans la vraie vie, je changerais de nom, je quitterais la ville. Je changerais du tout au tout. Je pense que l'on ne devrait pas être jugé pour les actions de nos parents, mais dans ces cas-là, j'ai bien conscience que c'est très dur de ne pas l'être.

k-libre : Vous connaissez bien le code d'honneur des gangsters ?
Paul Cleave : Je ne connais pas grand-chose. Je n'ai jamais parlé à un membre de gang. Ce que j'en sais provient principalement de ce que je vois à la télé.

k-libre : Est-ce que Christchurch est en compétition avec Miami pour être la ville la plus criminelle du monde ?
Paul Cleave : Vous faites allusion à Dexter ? Je n'y ai jamais pensé. Je sais que Miami est une ville très violente, et Christchurch est aussi une ville violente, pas autant que ce que j'en dis dans le livre. J'améliore la réalité si on peut dire.

k-libre : Le personnage de Dexter dans le livre de Jeff Lindsey a lui aussi une voix dans la tête, et qui est bien plus présente dans le livre que dans la série télé...
Paul Cleave : J'ai lu le premier Dexter il y a deux ans. J'ai adoré la série télévisée. Dexter a vraiment été un rude coup pour moi, parce que j'ai écrit Un employé modèle il y a dix ou onze ans, mais il n'est paru en Nouvelle-Zélande qu'en 2006, juste avant Dexter. Les années passant, le livre est paru ailleurs, comme ici en France l'an dernier, et les gens n'arrêtent pas de comparer mon livre à ceux de Jeff Lindsay, mais dans le mauvais sens, comme si j'avais tout lu, et vu Dexter, puis écrit mon livre, alors que c'est l'inverse à vrai dire. J'ai de même écrit Un père idéal avant de lire les romans de Dexter. lui, il entend cette voix tout le temps, alors que dans Un père idéal, la voix fait des apparitions. Elle est là, elle le guide, à chaque fois qu'il est coincé, qu'il ne sait pas quoi faire. Elle est là pour l'aider. C'est presque la même entité que celle qu'avait son père, mais en fait non, elle est différente.

k-libre : Votre ville, Christchurch, est assez violente. J'ai rencontré Deon Meyer, un auteur sud-africain. Il décrivait la ville du Cap comme très violente, mais à la fois déserte.
Paul Cleave : J'essaye de divertir mon lecteur, et je voulais une bonne toile de fond. J'ai donc rendu ma ville plus violente qu'elle ne l'est. Pour mon prochain livre je vais essayer d'illuminer un peu cette ville que j'ai quelque peu plongée dans le noir.

k-libre : D'un point de vue français, la Nouvelle-Zélande ne fait pas partie des pays les plus dangereux. On a du mal à imaginer des crimes...
Paul Cleave : Il y a quelques temps, nous avons eu une randonneuse allemande qui a été tuée, et il y a un nombre important de violences ménagères. Les médias ont rebaptisés Christchurch, "l'église de Dieu", en Crimechurch, "crime d'église".

k-libre : De mon point de vue, Un père idéal est plus fort qu'Un employé modèle, avec une très bonne intrigue, un vrai thriller qui nous fait penser à plusieurs sujets. Un vrai plaisir de tourner les pages, avec une combinaison de sujets divers, de violence et de sang. C'était votre but ?
Paul Cleave : D'abord, il y a eu huit ans entre les deux romans. J'espère donc être devenu un meilleur écrivain que je ne l'étais à vingt-cinq ans. Quand j'écris, je me dis que soit les gens vont vraiment aimer soit vraiment détester le roman. L'idée me va. Ceux qui aiment mes livres vont continuer, je l'espère. J'ai créé une atmosphère bien plus noire, car je voulais surprendre le lecteur jusqu'à la toute fin de mon intrigue. Je n'aime pas particulièrement mettre de la violence dans mes livres, mais parfois j'essaye de détailler de petites choses, comme quand le pouce de quelqu'un, ou sa tête, est coupé...

k-libre : Votre personnage principal est le premier tueur en série par accident...
Paul Cleave : C'est vrai. Je trouve que c'était une idée plutôt intéressante et amusante. Je n'avais pas eu cette idée de le construire ainsi à la base. Cela s'est produit un peu au fur et à mesure. Je sais qu'il tue le premier dans un accident, de même pour le deuxième, mais ensuite, il n'essaye pas de tuer en provoquant des accidents, cela arrive, tout simplement.

k-libre : Vous décrivez parfaitement ces scènes. Le premier meurt électrocuté, le second dans un pseudo accident de voiture. Vous ne dites pas seulement "il est mort", vous passez à peu près cinq voire six pages sur le détail...
Paul Cleave : Oui, c'est très graphique, très visuel ! Je pense que j'écris ce genre de choses parce que j'adore les films d'horreur. Je voulais mettre un peu de cette horreur dans mes écrits. Je veux que le lecteur soit horrifié et dégouté dans ces moments-là, comme dans un vrai film d'horreur, et qu'il ait cette vision, qu'il imagine la scène. Puisque les gens ont logiquement lu Un employé modèle d'abord, je voulais qu'il y ait une véritable progression, que ce soit plus noire. Mais quand on est français et qu'on a lu que le premier avant d'attaquer le quatrième, l'évolution doit être encore plus flagrante.

k-libre : Je trouve aussi, mais Un père idéal parait plus mature que le premier. Savez-vous si vos autres livres seront publiés en France ?
Paul Cleave : On a signé, et l'an prochain, sortira Cemetery Lake en France. Le mois prochain, sortira mon dernier livre, nommé Collecting Cooper, et j'ai un autre livre que j'ai fini d'écrire il y a environ un mois qui est en phase de parution. J'ai le même personnage, un détective privé un ancien policier. Il a une histoire à problèmes lui aussi. Avec lui, on remonte dans le temps, dans l'histoire de Christchurch, parce que l'action d'Un père idéal se produit quelque chose comme trois ou six mois après celle d'Un employé modèle, et Cemetery Lake se déroule en parallèle d'Un employé modèle. Cela va être un peu gênant sachant que l'on a Un père idéal qui sort, et qu'il va falloir remonter le temps d'un an pour lire l'autre. Mais les deux romans ont le même personnage principal. J'ai toujours voulu avoir un personnage récurrent. Maintenant, je l'ai ! Une autre chose que j'ai toujours voulu faire, c'est donner une suite à un de mes livres, donc je vais tenter le coup avec Un employé modèle. On me le demande souvent, et j'adore le personnage. J'espère pouvoir raconter une bonne histoire, mais je redoute que cela soit nul !

k-libre : Le roman sera-t-il adopté au cinéma ?
Paul Cleave : Ça n'a pas été abordé, mais j'aimerais beaucoup. Mes livres sont très visuels. Un employé modèle et Un père idéal feraient d'excellents films je pense. Je garde espoir qu'un jour on vienne me voir et qu'on me le propose...

k-libre : Un film d'horreur donc ?
Paul Cleave : Oui pourquoi pas ?

k-libre : Le thème principal d'Un père idéal n'est-il pas comment survivre à la mort inattendue de quelqu'un qu'on aime ?
Paul Cleave : Oui, c'est très dur. C'est pourquoi dans le livre, il y a plusieurs passages où il se lève le matin - on comprend quand on a connu un deuil similaire -, et qu'il lutte contre la pensée que cette personne n'existe plus désormais. Je ne peux pas vous en dire plus, pour préserver la suite du livre, mais il y a définitivement quelque chose d'autre derrière, et ce n'est pas exactement ce que vous croyez qu'il va se passer...

k-libre : Pour les lecteurs français, vous êtes "le bon écrivain" de votre ville, Christchurch. Il doit y en avoir d'autres. Pouvez-vous nous en parler ?
Paul Cleave : Il y en a eu un, Ngaio Marsh. Le siècle dernier, on pouvait le comparer à Agatha Christie. Bizarrement, je n'ai lu aucun de ses livres. J'ai eu pour habitude de lire des romans d'horreur, et de vouloir en écrire, comme ceux de Stephen King. Quand j'ai eu vingt-quatre ou vingte-cinq ans, j'ai lu un livre de Lee Child et je me suis dit "c'est un livre génial". C'est ce qui m'a donné envie d'écrire des romans noirs. Ce fut mon auteur favori pendant un moment, puis un roman de John Collins est sorti, et voilà, ils tous sont géniaux. J'ai lu mon premier Raymond Chandler il y a deux ans, je dirais, c'est vraiment intéressant parce que on dit que l'on a tous été inspiré par Raymond Chandler, soit à travers son travail, soit à travers les autres auteurs qui ont été inspirés par lui. On peut le voir facilement. Quand on lit un de ses livres, on se dit qu'il a forcément inspiré Michael Connelly.

k-libre : Vous n'avez jamais lu Dashiell Hammett ?
Paul Cleave : Non, mais je vous jure que je vais le faire. C'est le suivant sur ma liste de lecture.

k-libre : Connaissez-vous des auteurs modernes de Nouvelle-Zélande ?
Paul Cleave : La plupart des auteurs néo-zélandais sont des auteurs de fiction, je n'en lis pas, ils ont comme leur propre petit monde. Il doit cependant y avoir environ douze ou quinze auteurs de romans policiers, dont le premier livre est sorti l'an passé.

Propos aimablement traduits par Julie-Prune Védrenne.


Liens : Paul Cleave | Un employé modèle | Un père idéal Propos recueillis par Julien Védrenne

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