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vendredi 29 mars

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L'insolite enquêteur de Michaël Mention

Lundi 09 janvier 2017 - Michaël Mention apparaît dans le paysage littéraire en 2008 avec Le Rhume du pingouin aux éditions du Rocher. Il s'en suit sept récits à classer dans la catégorie des romans noirs dont la remarquable "Trilogie anglaise", trois titres qui lui valent trois prix dont le Grand Prix du roman noir en 2013. Aussi, quand un romancier qui décrit si bien les soubresauts sociaux, fixe son intérêt sur le XIXe siècle, sur une période peu mise en valeur, il est intéressant d'aller voir ce qui a suscité cet engouement.
La Voix secrète se révèle comme un livre fascinant qui suscite l'envie d'en savoir plus sur le cheminement de l'auteur et son attrait pour ce personnage atypique. Rencontre avec un romancier au talent affirmé.
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© Hannah Assouline



k-libre : Vous mettez en scène Pierre-François Lacenaire, un escroc-criminel guillotiné en janvier 1836. Comment avez-vous connu ce personnage ?
Michaël Mention : Je l'ai découvert quand j'étais ado, par le biais du film Lacenaire de Francis Girod. Daniel Auteuil y livre une performance époustouflante faite de culot, de lâcheté, de bienveillance et de perversité. Autant de contradictions qui m'ont conduit à lire ses Mémoires. Je me souviens d'avoir été séduit par la pensée anarchiste de cet assassin. Du coup, à l'époque, sa plume s'est vite intégrée dans ma culture entre Marvel et AC/DC.

k-libre : Qu'est-ce qui vous a incité à en faire le personnage central de votre livre La Voix secrète ?
Michaël Mention : Je me suis replongé dans ses Mémoires et, étant devenu adulte, cette deuxième lecture a été un véritable choc. Ses mots m'ont d'avantage parlé par leur audace, leur humour, leur pertinence toujours actuelle quant aux mœurs et à la politique. Toutes ces facettes m'ont conduit à en faire le personnage central du récit, que je voulais à la fois "fun" et grave, articulé autour de la notion d'écriture.

k-libre : Lacenaire est accusé de crimes. En a-t-il commis beaucoup ?
Michaël Mention : Une bonne dizaine. Difficile de donner un nombre fixe, puisque certaines affaires et circonstances restent floues. De plus, Lacenaire – en fin manipulateur – a toujours brouillé les pistes.

k-libre : Quel type de criminel était-il ? Sévissait-il en bande ? Peut-on parler, à son sujet, de crimes "politiques" ?
Michaël Mention : Son parcours, ses écrits et les Mémoires de l'inspecteur Canler montrent que Lacenaire a toujours agi en opportuniste. Il s'adaptait aux victimes en fonction du degré de dangerosité : parfois seul, souvent accompagné d'un complice ou d'une bande comme "La Flotte".

k-libre : Il met en avant sa haine de la société et son désir de mourir. Étaient-ce les motivations qui l'animaient quand il tuait ?
Michaël Mention : Cette question est au cœur du roman. Bien que cette démarche politique soit séduisante, je doute que Lacenaire ait tué par anarchisme ou autre, même si c'est possible. Quand j'écris sur des faits réels, je n'affirme que ce qui est vérifié par de multiples sources. Dans ...Et justice pour tous, je n'avais aucune preuve pour affirmer que Thatcher était informée des crimes pédophiles de Jimmy Savile - l'animateur de la BBC - avant de l'anoblir, alors j'ai juste posé la question. Dans La Voix secrète, c'est pareil. Même si j'ai des doutes quant à la portée symbolique des crimes de Lacenaire, je me devais d'évoquer son point de vue, ainsi que celui de l'inspecteur Canler : face à Lacenaire et ses envolées politiques, il est celui qui rétablit les faits et leur aspect sordide. À travers ces deux personnages, j'ai pu instaurer un ping-pong d'idées, de convictions, et le lecteur peut ainsi se faire sa propre opinion.

k-libre : Il rédige des poèmes et surtout ses Mémoires. Le contenu de celles-ci permet-il d'excuser ses actes, d'expliquer son parcours, son geste ?
Michaël Mention : Non. Lacenaire était un assassin et certains de ses crimes ont été particulièrement barbares, accomplis avec une certaine complaisance (je rappelle qu'il a crevé les yeux d'un receleur à plusieurs reprises). Toutefois, même si notre époque est celle de la crispation sur tous les sujets, du "pour ou contre", du "gentil ou méchant", je suis de plus en plus attaché à la notion de nuance. Alors, pour être clair : NON, le talent de Lacenaire ne le disculpe en rien mais OUI, son intelligence et sa sensibilité méritent que l'on s'y intéresse.

k-libre : A-t-il fait allusion à un "suicide par la guillotine" comme vous lui faites préciser dans les extraits de ses Mémoires que vous proposez ?
Michaël Mention : Il l'a écrit, clamé durant son procès et dit à de nombreuses personnes qui venaient lui rendre visite à la Conciergerie... alors qu'il s'était pourvu en cassation. Ce revirement est sans doute la plus grande contradiction de Lacenaire, c'est pourquoi j'en ai fait un élément majeur dans le récit, qui permet à Allard de lui faire du chantage dans le cadre de l'enquête.

k-libre : Est-il monté sur l'échafaud avec autant d'élégance, de détachement que vous le décrivez ? Était-il vraiment décidé à mourir de cette façon ?
Michaël Mention : À l'époque, les journalistes ont dépeint un Lacenaire pleurnichard lorsqu'il montait sur l'échafaud, ce qui a été démenti par Canler et d'autres témoins. La presse française du XIXe était déjà sensationnaliste - BFMTV avant l'heure - et les journalistes avaient écrit que la guillotine s'était bloquée au moment de la décapitation, qu'il avait fallu "finir" le cou de Lacenaire au couteau. Je me suis beaucoup documenté sur ce point, j'ai lu les mémoires du bourreau et des officiers présents sur le lieu, aux points de vue divergents... Certes, je n'étais pas né en 1836, mais il y a fort à parier que la guillotine a fonctionné normalement ce jour-là, comme tous les jours. Mais quand on veut augmenter les tirages et remplir les caisses, c'est toujours ainsi : à criminel emblématique, mort atypique. Du coup, même si je n'y crois pas, j'ai tenu à préserver cette légende. C'est pour ça qu'au moment de la décapitation, je fais un raccord dans le mouvement entre la lame de la guillotine et celle du tueur. Au-delà de l'aspect stylistique, cette ellipse me permet de respecter le flou entourant la décapitation.

k-libre : La voix secrète, cette expression qui donne son titre à votre roman, a-t-elle été rajoutée au texte originel comme vous le suggérez ou pouvait-elle vraiment figurer dans les Mémoires de Lacenaire ?
Michaël Mention : Je suis convaincu que cette expression a été rajoutée. Quand on lit Lacenaire, quand on connaît sa plume et son esprit, on sent une nette différence de ton entre les passages concernant cette "voix secrète" et le reste de ses écrits.

k-libre : Qu'est-ce qui vous a donné envie de mêler ce criminel à une effroyable enquête policière ?
Michaël Mention : J'ai toujours voulu écrire un polar historique, mais je voulais sortir du cadre classique, y ajouter mes influences de BD et ma passion pour la musique. Or, Lacenaire est le premier assassin "rock'n roll" de l'Histoire de France, une sorte de dandy-punk dont le parcours criminel en a dérouté plus d'un. D'ordinaire, les assassins venaient des bas-fonds et là, pour la première fois, la justice s'est retrouvée face à un accusé issu du milieu bourgeois, un homme hautement cultivé doublé d'un bisexuel assumé : de quoi déstabiliser le régime de l'époque.

k-libre : Pierre Allard, l'inspecteur à la direction de la Sûreté, est un autre personnage très important dans votre intrigue. Vous en faites un homme foncièrement honnête, qui noue des liens presque amicaux avec Lacenaire. Était-ce le cas ?
Michaël Mention : Après documentation, oui. Allard est de ces policiers qui font au mieux, entre prévention et répression, qui souffrent souvent de la bureaucratie et de l'inertie en haut-lieu. Quant à cette amitié insolite entre lui et Lacenaire, elle était réelle et s'est vite imposée à moi comme le nerf du récit.

k-libre : Est-ce qu'il a fait publier les Mémoires de Lacenaire comme ce dernier le souhaitait ? Peut-on mesurer les écarts entre le texte original et celui disponible aujourd'hui ?
Michaël Mention : Allard a bel et bien tenu sa promesse, ce qui témoigne de la sincérité de son amitié. Quant aux écarts entre le texte original et celui d'aujourd'hui, ils sont visibles selon les parutions. Dans celle éditée par José Corti en 1991 - regroupant également les poésies, chansons et pièces de théâtre de Lacenaire - les passages censurés ont été signalés.

k-libre : Vous faites le choix de placer votre intrigue en 1835-1836. Est-ce par rapport à Lacenaire ou au début assez chaotique du règne de Louis-Philippe, ce dernier étant la cible d'attentats organisés par les bonapartistes, les carlistes et les républicains ?
Michaël Mention : C'est un tout. Situer l'intrigue dans les derniers mois de Lacenaire me permettait de revenir sur son existence à travers ses Mémoires, ça me semblait plus intéressant que de raconter simplement son parcours. Par ailleurs, je crois au façonnage de l'individu par son environnement, au fait que l'on est tous - à des degrés différents - le fruit de notre époque. En ce qui me concerne, j'ai grandi dans les désillusions de l'ère Mitterrand, l'essor du libéralisme et l'humour noir qui découle de cette amertume générationnelle : mon écriture est porteuse de tout ça, oscillant toujours entre dureté et légèreté... deux facettes essentielles de Lacenaire. Quand on aime le roman noir, on ne peut que s'intéresser à cet homme qui a incarné le XIXe siècle avec sa modernité, ses artifices et sa violence.

k-libre : Vous racontez dans le détail l'attentat du 28 juillet 1835, perpétré par Giuseppe Fieschi et ses complices, qui est le point de départ de votre livre. A-t-il été un des plus importants du règne de Louis-Philippe ?
Michaël Mention : Durant son règne, Louis-Philippe a été la cible de nombreux attentats, mais celui-ci a été le plus sanglant. Je tenais à retranscrire la véracité des faits, tout en rendant hommage à JFK d'Oliver Stone. Dans ce chapitre, les roulements de tambours, le "clic" du fusil et l'envol des oiseaux viennent de l'introduction du film. De plus, j'ai écrit La Voix secrète entre les attentats à Charlie Hebdo et ceux du Bataclan. Comme tout le monde, j'ai baigné dans cette atmosphère pesante, aggravée par la surenchère des médias et la récupération des politiciens. J'ai ressenti le besoin d'évoquer les victimes, la douleur de leurs proches et celle - symbolique - de Paris. Deux de mes amis étaient au Bataclan le soir des attentats, ils en sont traumatisés et il était prévu que j'y sois avec eux mais, étant né le 13 novembre, j'ai fêté mon anniversaire en famille chez moi, ce qui m'a peut-être sauvé ce soir-là... Il y a tout ça dans le roman, à travers l'attentat de Fieschi.

k-libre : La Conciergerie avait la réputation d'une prison au régime dur, très sévère. Lacenaire avait-il les faveurs que vous décrivez, à savoir livraison de repas fins, du papier, de l'encre, un gardien attaché à sa personne ?...
Michaël Mention : Oui.

k-libre : Pourquoi présentez-vous Vidocq comme un responsable ayant fait de la Sûreté une milice corrompue au service du commerce et des manufacturiers ?
Michaël Mention : Parce que c'est la vérité ! Vidocq a été un policier efficace, certes, mais il agissait avec d'anciens compagnons de bagne, des criminels parfois plus malsains que ceux qu'ils traquaient. Les abus de pouvoir, les magouilles... tout ça a conduit Vidocq à se mettre en retrait. C'est ainsi qu'il a créé une agence de détectives au service des industriels pour surveiller les syndicalistes et les employés considérés comme "contreproductifs".

k-libre : Vous réunissez d'autres individus comme l'inspecteur Pierre Canler adjoint d'Allard, le préfet Henri-Joseph Gisquet, le ministre Thiers... Est-ce passionnant d'animer des personnages historiques authentiques en les entourant de personnages de fiction ?
Michaël Mention : "Passionnant", c'est le mot. J'aime écrire sur l'Histoire et les figures historiques, cela impose d'avoir du recul en permanence. Au quotidien, j'aime prendre le temps pour m'interroger, ce qui se fait de moins en moins dans notre époque survoltée, faite de fausses polémiques et d'aberrations en tous genres. Je n'ai écrit qu'une seule fois sur la France d'aujourd'hui, c'était dans le cadre d'une satire sur les médias (Le Carnaval des hyènes), mais je me sens plus à l'aise en écrivant sur le passé. Le monde d'aujourd'hui m'irrite trop pour que j'en tire un plaisir d'écriture. Ça évoluera sans doute, mais à l'heure actuelle, je m'éclate bien plus en écrivant Adieu demain, Jeudi Noir ou La Voix secrète : écrire sur le passé, c'est toucher à notre présent et au futur qu'il induit.

k-libre : Vous évoquez près des cadavres de la morgue, des étals de boucherie des Halles, l'omniprésence de nuages de mouches. L'action se déroule en janvier et il fait froid. Le défaut d'hygiène favorisait-il leur existence quasiment toute l'année ?
Michaël Mention : Après l'épidémie de choléra en 1832, la question sanitaire s'est retrouvée au premier plan en Europe, où les divers régimes commandaient régulièrement des rapports sur la tenue des zones à risques. Ceux que j'ai lus font état d'une persistance d'insectes, donc vecteurs de bactéries, ce qui explique notamment la faible espérance de vie des populations miséreuses.

k-libre : Vous avez une façon très plaisante, et surprenante, d'utiliser les points de suspension. Vous les faites ouvrir sur une toute autre idée ou situation. Est-ce une "marque de fabrique" ?
Michaël Mention : Cette "marque de fabrique" revient dans certains de mes romans, mais je tiens à ne pas en abuser, privilégiant toujours le fond à la forme. Dans Bienvenue à Cotton's Warwick, les points de suspension servent de lien entre plusieurs chapitres car la question du temps est au cœur du roman, j'ai donc travaillé sur l'ellipse et la fragmentation de l'instant. Une démarche différente dans La Voix secrète, où ce procédé découlait de la structure même du récit : je ne voulais pas, au sein d'un même chapitre, faire cohabiter le point de vue de Lacenaire et le mien en qualité de narrateur. Je me suis donc adapté à cette contrainte.

k-libre : En choisissant un personnage qui meurt dès les premières pages, pouvez-vous envisager d'en faire le héros d'une série ?
Michaël Mention : Depuis que le roman est sorti, j'ai un peu le cafard, comme après chaque parution, et "mon" Lacenaire me manque, mais je ne pense pas le faire revenir un jour. À moins qu'une idée me vienne, suffisamment dense pour écrire une suite ou une série.

k-libre : Allez-vous continuer à explorer ce XIXe siècle ou souhaitez-vous aller vers d'autres époques pour vos prochains romans policiers historiques ? Avez-vous d'ores et déjà des pistes dont vous pouvez nous faire part et une prochaine actualité pour vos polars noirs, plus contemporains ?
Michaël Mention : Tous les auteurs vous le diront : on met le maximum dans chaque roman afin qu'il soit le plus complet possible. Dans La Voix secrète, j'ai le sentiment d'avoir traité tout ce que m'inspirait le XIXe en France et en Europe sous ses aspects sociaux, politiques, culturels... Alors, pour l'instant, j'en ai terminé avec cette période. J'écris aujourd'hui sur les années 1960-1970, riches en progrès et en contradictions. Je les avais déjà survolées à travers Fils de Sam, mais cette fois-ci, je les aborde frontalement dans leur quotidien. Et je m'éclate comme jamais.


Liens : Michaël Mention | La Voix secrète | Fils de Sam | Le Carnaval des hyènes | Sale temps pour le pays Propos recueillis par Serge Perraud

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