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Éric Fouassier, le preux chevalier et l’apothicaire

Jeudi 09 février 2017 - La communauté des romanciers est composée de personnalités aux compétences variées, venues d'horizons les plus divers, animées du même désir d'écrire pour distraire, pour dépayser pour partager la vision d'un univers. Avec leurs connaissances, leurs expériences, elles nourrissent des mondes de fiction, des créations mêlant réalité et imagination. Éric Fouassier a d'abord abordé des domaines scientifiques, juridiques avant de laisser libre cours à son goût pour les lettres. Il est passé par la publication, tous azimuts, de nouvelles avant un premier roman qui décroche le Prix Plume de Glace au Festival de Serre-Chevalier.
Avec Bayard pour héros, il aborde le roman policier historique tout en utilisant, par le biais d'Héloïse, une apothicaire, des connaissances pharmaceutiques, un domaine qu'il connaît très bien. Mais, pourquoi Bayard, pourquoi Héloïse et comment aborde-t-il cette époque entre le XVe et le XVIe siècle ? Autant de questions qui requièrent une réponse. Alors, quelle meilleure source que le romancier lui-même !
Entretien avec un auteur particulièrement prometteur.
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© D. R.



k-libre : Après Bayard et le crime d'Amboise, vous proposez une seconde enquête de Pierre Terrail, seigneur de Bayard. Comment et qu'est-ce qui vous a amené à vous intéresser à lui ?
Éric Fouassier : Bayard fait partie de ces quelques personnages de l'Histoire de France dont le nom est connu pratiquement par tous, mais dont le grand public ignore quasiment tout des détails de leur vie. La plupart des gens ne connaissent de lui que quelques images d'Épinal : Bayard adoubant François Ier sur le champ de bataille de Marignan ou défendant seul contre les Espagnols le pont sur le Garigliano... Il était donc tentant de s'emparer d'un tel personnage pour lui redonner chair.

k-libre : Qu'est-ce qui a fait qu'on l'ait appelé Le Chevalier sans peur et sans reproche ? Qui l'a surnommé ainsi ? Est-ce récent ou du temps de son vivant ?
Éric Fouassier : La vie de Bayard et surtout ses exploits ont été rapportés par trois de ses contemporains : son cousin par alliance Symphorien Champier, médecin lyonnais, dans un livre édité en 1525, le notaire Jacques de Maille qui signa en 1527 son ouvrage du pseudonyme de Loyal Serviteur, et Aymard du Rivail qui lui consacre un chapitre de son Histoire des Allobroges. Tous nous brossent le portrait d'un chevalier exemplaire, courageux, loyal, généreux et soucieux de ne pas accabler l'ennemi vaincu. C'est Champier, dans l'épître au duc de Lorraine contenue dans son ouvrage, qui nomme pour la première fois Bayard "chevalier sans peur et sans reproche".

k-libre : Sans peur on comprend ce que cela veut dire. Mais sans reproche qu'est-ce que cela signifiait dans l'esprit des gens de l'époque ? Sans reproche, cela voulait-il supposer que ce n'était pas le cas pour les autres chevaliers ?
Éric Fouassier : L'expression veut montrer que Bayard était un chevalier accompli tant par ses qualités guerrières que morales. Il est ainsi hissé au même niveau que les preux de jadis. Il ne faut pas oublier que les temps glorieux de la chevalerie s'éteignent avec la Renaissance. S'ouvrira par la suite le temps des courtisans. Bayard symbolise cette résistance du modèle ancien.

k-libre : Était-il aussi brave que le rapportent les chroniqueurs de l'époque ?
Éric Fouassier : Ses trois premiers biographes ont rendu compte de ses nombreux exploits guerriers. Si leurs récits sont largement romancés et, conformément à une tradition de l'époque, donnent lieu à de nombreux enjolivements, il n'en reste pas moins que les prouesses de Bayard sont incontestables. La meilleure preuve est que François Ier, en 1515, à peine installé sur le trône, confia à Bayard la lieutenance générale du Dauphiné. Ce type de fonction était en général réservé à des grands noms du Royaume. Or, Bayard était un simple capitaine, issu de la petite noblesse.

k-libre : Qu'est-ce qui vous a donné envie de donner à Bayard ce rôle d'enquêteur dans des complots qui touchent la royauté ?
Éric Fouassier : Comme je l'ai déjà dit : je voulais donner corps à un personnage fameux mais méconnu. Bayard présente aussi le grand intérêt d'avoir successivement servi trois rois de France : Charles VIII, Louis XII et François Ier. À travers lui, je pouvais donc balayer toute la période des débuts de la Renaissance française qui, à bien des égards tant politiques que culturels, s'avère fascinante.

k-libre : Il collabore pour ses enquêtes avec Héloïse Sanglar, une jeune femme apothicaire qu'il rencontre dès les premières pages puisqu'il lui dédie sa victoire en tournoi. Ce personnage est-il inspiré d'une personne authentique, est-il le fruit de votre imagination (vous n'êtes pas en reste dans ce domaine !) ou un mixte des deux ?
Éric Fouassier : Vous connaissez le fameux mot de Flaubert : "Madame Bovary, c'est moi !" Eh bien, je le reprends volontiers à mon compte : "Héloïse Sanglar, c'est moi !" Elle est belle, intelligente, cultivée et intrépide. C'est mon double idéal. En fait, elle m'a littéralement séduit. Au départ, elle ne devait servir que de contrepoint au personnage principal de Bayard, mais au fur et à mesure que j'écrivais, elle a pris de plus en plus de lumière jusqu'à quasiment l'éclipser. Un sacré exploit ! Mais quel homme, s'il devait être une femme, ne rêverait-il pas de ressembler à Héloïse ?

k-libre : Formée par son père à l'apothicairerie, il lui faut, après le décès de ce dernier, obtenir un appui royal pour avoir le droit d'exercer ce métier interdit aux femmes. Pourquoi cette interdiction ? A-t-elle perduré longtemps ?
Éric Fouassier : L'apothicairerie, de ce point de vue, ne fait guère exception. La plupart des métiers artisanaux organisés sous forme corporative étaient interdits aux femmes. Pour ce qui concerne la pharmacie, seules les veuves d'apothicaires étaient autorisées à conserver la propriété de l'officine tant qu'elles ne se remariaient pas. Encore fallait-il qu'elles embauchent un homme qualifié pour tenir la boutique ! En France, il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour que les femmes aient enfin accès au diplôme de pharmacien.

k-libre : Vous affectez Héloïse, par ailleurs d'une réelle beauté, d'un pied-bot. Est-ce que les malformations étaient plus courantes qu'aujourd'hui, en tenant compte du rapport de population ?
Éric Fouassier : Bien sûr. Elles étaient plus fréquentes en raison de la rudesse du temps, des accouchements effectués dans des conditions difficiles et de l'incapacité de lutter contre bien des infections et maladies contractées au cours de la grossesse. On le constate lorsqu'on examine les traités de médecine de l'époque.

k-libre : Vous donnez dans Le Piège de verre le rôle principal à Héloïse. Vous attribuez aussi une place importante à Henri de Comballec, un gentilhomme breton attaché au service de la reine Anne. Ce personnage a-t-il été conçu pour les besoins de votre intrigue ?
Éric Fouassier : Comballec est un personnage de pure fiction. Ce qui est vrai en revanche, c'est que la reine Anne, qui était relativement isolée à la Cour de France lors de sa première union avec Charles VIII, s'est davantage entourée de Bretons après son remariage avec le successeur de celui-ci, Louis XII. Le Perche aux Bretons, que j'évoque au tout début du roman, constituait ainsi, comme son nom l'indique, une véritable petite enclave bretonne au sein du château de Blois.

k-libre : Bayard se trouve en campagne en Italie. Son éloignement lui donne un rôle secondaire. Ce choix d'une enquête cinq ans après la première est-il voulu ou imposé par le cadre du complot ?
Éric Fouassier : Dans ce deuxième volet des aventures de Bayard et d'Héloïse, je voulais délibérément donner le premier rôle à celle-ci. Du coup, il fallait choisir une période où Bayard n'était pas en position de lui prêter main forte. L'intrigue imposait également que Bayard passe un temps pour mort. Ces considérations ont dicté le choix de la période historique, qui correspond à la troisième guerre d'Italie opposant les armées de Louis XII et de Ferdinand II d'Aragon pour la possession du royaume de Naples.

k-libre : Vous prenez pour base de vos intrigues mettant Bayard en scène, des complots contre la royauté. Dans Bayard et le crime d'Amboise, vous démontrez que la mort de Charles VIII n'est pas un accident mais un assassinat. Est-ce avéré dans l'état des connaissances actuelles ou est-ce pour les besoins de votre livre ?
Éric Fouassier : Je plaide coupable : c'est une totale invention de ma part ! Le caractère accidentel de la mort de Charles VIII n'a jamais été remis en cause ni par ses contemporains, ni par les historiens. Toutefois, le contexte historique aurait pu s'y prêter, comme je le montre dans le roman. En outre, le roi qui s'est assommé en heurtant le chambranle d'une porte était de toute petite taille. C'est ce détail paradoxal qui a tout déclenché en moi et m'a incité à laisser travailler mon imagination, mais j'insiste : dans un cadre historiquement tout à fait plausible.

k-libre : Dans la seconde enquête, Le Piège de verre, vous mettez en scène un complot contre Louis XII à l'aide de l'alchimie. Ce complot a-t-il eu un début d'exécution ?
Éric Fouassier : Non. Là encore, il s'agit d'une pure fiction mais qui s'appuie sur un contexte historique réel : en l'occurrence le déclin à la Renaissance du vitrail, pourtant considéré jusque-là comme un art majeur. Pour moi, tout l'art du romancier historique consiste précisément à s'infiltrer dans les marges de l'Histoire, à faire travailler son imaginaire en respectant les événements historiques rapportés par les sources.

k-libre : Dans Morts thématiques, un polar contemporain (Pascal Galodé, 2009), vous basez une partie de votre intrigue sur des énigmes mathématiques. Dans Le Piège de verre, vous utilisez les deux principales méthodes pour dissimuler la teneur d'un message. Avez-vous un goût particulier pour la conception d'énigmes ?
Éric Fouassier : Je suis un véritable mordu d'énigmes, d'escape game et de chasses aux trésors. J'en organise d'ailleurs de temps en temps pour mes proches. À l'université, pendant quelques années, j'ai même donné un cours sur les écritures secrètes qui visait à familiariser les étudiants à la méthode de Descartes. C'est vous dire ! Du coup, il était naturel que je partage aussi cette passion avec mes lecteurs.

k-libre : On retrouve dans vos polars historiques trahisons, guet-apens, assassinats, envoutements, tortures, poursuites échevelées, énigmes codées. On ressent à la lecture un réel plaisir pris à intégrer tous ces types de péripéties dans l'intrigue. Êtes-vous très attiré par les romans de capes et d'épées ?
Éric Fouassier : Je fais partie de cette génération de lecteurs qui ont été bercé, dans leur jeunesse, par les exploits des trois mousquetaires, de Lagardère, de Pardaillan ou du capitaine Fracasse. En réaction aux flics dépressifs venus du Nord, je voulais retrouver un peu de cette flamboyance, de ce panache bien français. Par les temps parfois bien moroses que nous vivons, il me semble que cela fait du bien de renouer avec cette littérature de pur divertissement !

k-libre : Vous racontez l'exploit fameux de Bayard au pont du Garigliano. Ce combat a-t-il été aussi épique ?
Éric Fouassier : Il est rapporté par toutes les sources de l'époque et figure dans les premiers récits consacrés aux exploits du chevalier dès le XVIe siècle. Tous indiquent que Bayard a défendu seul l'accès d'un pont en tenant tête à une troupe d'Espagnols. Difficile cependant de savoir avec certitude combien d'ennemis il a dû affronter et pendant quelle durée. Mais la prouesse est historique, sans nul doute.

k-libre : Vous réunissez autour de Bayard et d'Héloïse, nombre de personnages authentiques tels que la reine Anne, la reine Jeanne, Philippe de Clèves... Est-ce passionnant d'animer ainsi des personnages historiques authentiques en les entourant de personnages de fiction ?
Éric Fouassier : C'est effectivement l'un des grands plaisirs quand on écrit des romans historiques. La sélection des personnages ayant réellement existé que l'on va faire évoluer dans le roman est d'ailleurs une étape importante qui guide en partie la recherche documentaire. On les choisit par exemple en fonction des rôles clés qu'ils ont pu jouer, de leur caractère complexe ou de caractéristiques physiques remarquables.

k-libre : Pourquoi vous échinez-vous à contrarier les élans amoureux de vos deux héros ? Est-ce par masochisme ?
Éric Fouassier : C'est bien connu : les gens heureux n'ont pas d'histoire (du moins, digne d'intéresser les autres !). En littérature, il est plus tentant de contrarier les amours de ses personnages. Cela suscite le désir et/ou la frustration chez le lecteur qui s'identifie à eux. Et l'envie aussi que la saga continue... J'ai ainsi été ravi quand les premières lectrices du Piège de verre m'ont réclamé une suite pour pouvoir assister aux retrouvailles de Bayard et d'Héloïse. C'était la preuve que j'avais réussi mon coup !

k-libre : Vous citez nombre de préparations faites par Héloïse pour soulager, soigner. Les composantes de ces préparations restent-elles, aujourd'hui, des bases de médicaments ?
Éric Fouassier : Tous les remèdes cités dans le roman étaient en usage à l'époque et leur préparation, lorsqu'elle est décrite, est rigoureusement exacte. Les plantes, encore appelées simples médicinales, fournissaient alors les matières premières les plus nombreuses. De nos jours, la plupart de ces plantes médicinales peuvent encore être utilisées en phytothérapie et certaines ont permis l'extraction de principes actifs que l'on peut retrouver dans des spécialités pharmaceutiques industrielles (même s'ils sont parfois obtenus dorénavant par chimie de synthèse). C'est le cas par exemple de la digitaline extraite de la digitale, de la colchicine tirée du colchique, de la morphine issue du pavot, etc.

k-libre : Vous évoquez l'abbaye de Baume-Les-Moines dans le Jura, aujourd'hui Baume-Les-Messieurs. Y avait-il un foyer important de verriers ?
Éric Fouassier : Non, pas à Baume même. Toutefois, aux XIVe et XVe siècles, de nombreux maîtres-verriers ont été formés au sein des abbayes. J'ajoute que les lieux d'où sont originaires les autres maîtres-verriers apparaissant dans le roman correspondent, eux, à des centres qui ont réellement existé : Bourges, Troyes, Rouen, Tréguier, Le Mans et Avignon.

k-libre : L'art du vitrail a subi, à cette époque, des bouleversements importants, des mutations qui ont amené à abandonner les techniques utilisées. Vous imaginez une réaction de la part des tenants des méthodes anciennes. Vous basez-vous sur des situations similaires ?
Éric Fouassier : Les tentatives des maîtres-verriers pour freiner le déclin de leur art, durant la Renaissance, ont été heureusement beaucoup plus pacifiques que celle imaginée dans le roman. Ils ont cherché simplement à faire évoluer leurs techniques, mais cela n'a pas suffi.

k-libre : Vous faites dire à Anne de Bretagne, en réponse à Héloïse qui a lu des écrits d'humanistes comme Erasme : "Pour ce qui est de comprendre le monde... la lecture des Saintes Écritures me paraît amplement suffisante." Une reine de France était-elle aussi limitée dans ses raisonnements ?
Éric Fouassier : Anne de Bretagne était très pieuse, comme en attestent tous les chroniqueurs, et une telle réplique dans sa bouche est parfaitement plausible. Il ne faut pas oublier que la Renaissance est une période de grande instabilité intellectuelle. La découverte du Nouveau Monde, l'affaiblissement du pouvoir de l'Église, la remise en cause des croyances héritées de l'Antiquité ont contribué à ébranler les esprits. Cela a, à la fois, favorisé l'émergence d'une pensée nouvelle et de la science expérimentale, mais aussi entraîné une contre-réaction parfois rude (il suffit de songer à la mise à mort de Giordano Bruno ou au procès intenté par l'Église à Galilée). C'est ce contraste qui rend d'ailleurs la période si fascinante !

k-libre : Outre des polars historiques, vous signez des romans policiers très contemporains avec pour héros le commandant Gaspard Cloux. Les méthodes d'écriture sont-elles bien différentes ?
Éric Fouassier : En termes de structuration de la narration, cela ne change pas grand-chose. Je procède toujours de la même façon en effectuant un chapitrage de l'intrigue à rebours, c'est-à-dire en partant du dénouement pour remonter au prologue. En revanche, pour les romans historiques, le temps de recherche documentaire en amont est sans commune mesure et le temps de l'écriture est multiplié chez moi environ par 1,5. Il arrive en effet fréquemment qu'au détour d'une page, on soit obligé d'aller rechercher une information historique que l'on n'a pas dans sa documentation (un détail vestimentaire, une description d'objet, de lieu…).

k-libre : Avez-vous en projet d'autres aventures pour Héloïse et Bayard, d'autres machinations à éventer, d'autres complots à déjouer ? À moins que vous ne prépariez une nouvelle enquête de Gaspard Cloux ? Ou avez-vous envie d'aller vers d'autres héros à des époques différentes ?
Éric Fouassier : Dès le départ, les aventures d'Héloïse et de Bayard ont été conçues comme une trilogie. Je suis donc en train de finaliser le troisième et dernier volet de la série qui devrait sortir en 2018, toujours chez Jean-Claude Lattès, et qui prendra en partie pour cadre la bataille de Marignan en 1515. Et je vous livre un scoop : les deux héros vont enfin y consommer leur idylle !


Liens : Éric Fouassier | Bayard et le crime d'Amboise | Le Piège de verre | Morts thématiques Propos recueillis par Serge Perraud

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