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Policiers, ils ont découvert le corps, traqué l'assassin, livré une tête à trancher à la justice sévère de leur temps ; écrivains, ils ont consignés leurs enquêtes, leurs intuitions, leurs idées, laissant aux nouvelles générations la trace écrite de tout ce qu'elles auraient si facilement ignoré.
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Boris Akounine et Nicholas, son Fandorine contemporain.

Mardi 12 janvier 2010 - Boris Akounine est arrivé comme un boulet de canon dans l’univers du roman policier avec Eraste Fandorine, une sorte de dandy, un Sherlock Holmes exerçant son talent dans la Russie tsariste de la fin du XIXe. Dès le récit de sa première enquête, relatée sous le titre d’Azazel, le héros séduit le public par sa stature. Il est audacieux, créatif, perspicace, ne rechignant pas à la bagarre. Actuellement c’est plus de douze enquêtes qui ont été dévoilées aux lecteurs.
Parallèlement, Boris Akounine signe une trilogie construite autour de Pélagie, une jeune religieuse orthodoxe qui "compense son indifférence flagrante pour le protocole religieux et sa fâcheuse manie du tricot par un talent certain pour résoudre des affaires criminelles".
L’auteur à le goût pour les intrigues à tiroirs, pour la littérature populaire de tous pays qu’il assimile pour une relecture. L’intensité et la variété des péripéties qu’il imagine le disputent à une culture historique remarquable. Son humour balaie toute la chromatique, du plus léger au plus grinçant. Toutes ces composantes concourent à la construction de romans attrayants et captivants. Attention, il y a risque d’addiction !
Depuis, il a développé une trilogie axée sur le descendant du célèbre Eraste, évoluant à notre époque. Après Altyn Tolobas, les éditions 10-18 ont fait paraître, en deux volumes, Bon sang ne saurait mentir, un roman à l’action époustouflante, mariant deux aventures, l’une dans la Russie d’aujourd’hui, l’autre au XVIIIe siècle.
Retour, (par Internet et avec le concours de Julien Védrenne pour la traduction - anglaise !) avec l’auteur, sur le héros, son environnement et l’esprit de la série.
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© Jérôme da Cunha



k-libre : Nicholas Fandorine est le personnage principal de Bon sang ne saurait mentir. Le considérez-vous comme un héros ou un antihéros ? A-t-il un lien de parenté avec Eraste Fandorine, un autre de vos personnages fameux ? Comment le situez-vous dans la saga Fandorine ?
Boris Akounine : Pour moi Nicholas Fandorine est un héros. Il n’y a aucun doute dans mon esprit. C’est le petit-fils d’Eraste Fandorine, et il vit à une époque moins picaresque et sans les qualités de "superhéros" de son illustre ancêtre. Au contraire d’Eraste Fandorine, il n’est pas un aventurier-né en recherche d’adrénaline. Il ne pourchasse pas l’aventure, c’est l’aventure qui le pourchasse ! C’est un peu Monsieur Tout-le-Monde. Vulnérable, doutant de lui-même, empli de peurs. Il ne maîtrise pas les arts martiaux, n’excelle pas dans le maniement des armes, et n’est pas héroïque. Mais il est astucieux et très, très chanceux. Nicholas est le personnage principal de quatre romans : Altyn Tolobas (sa première apparition ; le livre est déjà paru en France), Bon sang ne saurait mentir (deux volumes où il découvre une variante inconnue de Crime et Châtiment de Dostoïevski) et Le Faucon et l’Hirondelle (un roman de pirates non encore traduit où Nicholas s’embarque pour une île au trésor).

Vous développez deux intrigues, l’une en 1795, l’autre à notre époque, au début des années 2000. Cédez-vous, une fois encore, à votre goût pour les constructions à tiroirs ? Est-ce pour illustrer l’importance du passé et son interférence sur le présent ?
Chaque roman où apparaît Nicholas Fandorine est composé de deux histoires qui se superposent à des années et des années d’intervalle. Quelquefois elles sont intimement liées, quelquefois – comme dans Bon sang ne saurait mentir – le lien est un peu plus subtil. Un critique russe a utilisé une métaphore qui décrit très bien cette connexion : une tasse à café s’est brisée dans une pièce où deux cents ans plus tôt, le cœur de quelqu’un s’est lui aussi brisé.

Est-ce "délassant" pour un romancier de pouvoir ainsi changer de temps ? Mais ces époques sont-elles aussi différentes qu’elles le paraissent ?
Oui, c’est très plaisant d’être des deux côtés du miroir. Les époques, les habitudes, les modes changent, mais pas la nature humaine, ni les questions cruciales et existentielles. L’amour est l’amour, la trahison reste la trahison, et la noblesse du cœur demeure un fait rare et à jamais exquis.

Pourquoi avez-vous retenu la fin du règne de Catherine II de Russie. Qu’est-ce qui vous a fait vous arrêter sur cette année 1795 ?
J’ai toujours été intéressé par les époques de transition de l’Histoire. 1795 est la dernière année d’une très longue et importante période de l’histoire de la Russie. La Révolution française a déterminé de nombreux changements dans la Vieille Europe. Il en a été de même dans l’Empire de la tsarine Catherine. Il n’y a pas qu’en France que l’Ancien régime s’est retrouvé condamné.

Vous montrez l’impératrice vieillissante, mais toujours fidèle à sa réputation de "femme à hommes". L’Histoire n’a-t-elle pas enjolivé une autre réalité ? Cependant, vous en faites un portrait peu élogieux. Était-elle ainsi à la fin de son règne ?
J’ai essayé d’être aussi exact que possible et d’exposer de justes faits tout en décrivant la morale et les dialogues des derniers instants à la cour de le grande Catherine. Quand j’ai collecté toute la matière pour mon roman, j’ai décidé d’exclure tous les travaux écrits a posteriori, et de ne m’appuyer que sur les documents d’époque : lettres, journaux intimes des années 1790. Il est assez amusant de constater que la vision des faits change radicalement si vous ignorez les analyses et les interprétations données ultérieurement et que vous vous basez uniquement sur des témoignages directs. Catherine II était une monarque intelligente et prudente, associée à une grande psychologue (ou "lectrice des cœurs" comme on disait à l’époque), mais à la fin de son très long règne, la veille dame devenait moins efficace et plus indulgente vis-à-vis d’elle-même.

Mithridate Karpov est un autre personnage important de Bon sang ne saurait mentir. C’est un enfant prodige qui, à sept ans, a assimilé une somme considérable de connaissances, possède une capacité de calcul et d’analyse peu commune. Son père veut le placer à la cour pour bénéficier d’avantages matériels et financiers. Était-ce une pratique courante ?
Au XVIIIe siècle ? Assurément ! Rappelez-vous Mozart…

Pourtant, ne faites-vous pas une description effrayante de la vie à la cour de Catherine II, de l’existence qu’on y menait, de la vie des courtisans ? Était-ce, malgré tout, une situation plus enviable que celle du paysan ou de l’ouvrier ?
Les gens de la cour de Catherine II étaient tous bien nourris et bien habillés. Mais sur tous les autres sujets ou attitudes, ils n’étaient pas vraiment différents des autres sujets et serfs. Les notions de dignité, d’honneur et d’estime de soi ne sont apparus dans l’aristocratie russe que durant le règne d’Alexandre Ier, qui était très jeune dans ce roman.

Vous mêlez à votre intrigue, qui après une mise en place détaillée devient trépidante, nombre de réflexions sur la Russie de 2002, sa situation politique, sociale, sociologique. Certaines ne sont-elles pas peu aimables pour vos compatriotes ?
Tout à fait ! Certains de mes compatriotes ont été irrités par mes descriptions – jusqu’à engager des procédures judiciaires à l’encontre de ma "russophobie". Mais je n’ai fait que décrire ce que je voyais autour de moi. Il se passe énormément de faits dérangeants dans notre Russie. Le rôle d’un écrivain est de les pointer du doigt – enfin ça ce que m’a enseigné la tradition de la littérature russe.

Nicholas, né de parents émigrés au Royaume-Uni, avait la nationalité anglaise. Avec la chute du rideau de fer, il choisit de repartir à Moscou et de prendre la nationalité russe. Est-ce un cas particulier pour votre intrigue ou y a-t-il beaucoup de personnes qui ont fait cette démarche ?
Dans les années 1990, quand il a semblé que la démocratie allait persister en Russie, un certains nombre d’expatriés russes ou de descendants d’émigrés russes sont revenus y habiter et y travailler. Dans les années 2000, certains sont repartis mais beaucoup sont néanmoins restés !

Le choix de la raison sociale de la société que dirige Nicholas : "Le Pays des Soviets" est-il un clin d’œil à l’Histoire ?
Oui, c’est un jeu de mot russe. "Soviet" veut dire "Conseil" donc c’est à la fois "Le Pays des Conseils" (la compagnie de conseils) et "Le Pays des Soviets" (qui était le nom officieux de l’Union soviétique).

L’objet de l’entreprise dont Nicholas est le président : "Il n’existe pas de situations sans issue ! Il y a toujours une solution !", ne rejoint-il pas le travail de l’écrivain qui doit trouver des dénouements à tous les événements qu’il fait vivre à ses personnages ?
Sans aucun doute ! Pour aller plus loin, je considère Nicholas Fandorine comme un alter ego. Mon commerce n’est pas moins étrange que le sien…


Liens : Boris Akounine | Bon sang ne saurait mentir Propos recueillis par Serge Perraud

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