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L'univers policier de Nadine Monfils oscille entre poésie et horreur

Mardi 23 février 2010 - Nadine Monfils est entrée en littérature au début des années 1980, où elle s’est confrontée à de nombreux genres tels que poésie, théâtre, nouvelle, roman… Mais c’est dans le domaine du polar qu’elle s’est fait reconnaître avec la mise en scène de personnages particulièrement atypiques comme le commissaire Léon, le policier qui tricote. Autour d’eux, elle développe, dans un style direct, des intrigues subtiles et des mondes surprenants.
Aux éditions Belfond, elle a crée une série qui, tout en reprenant ses thématiques favorites, intègre autour des inspecteurs Lynch, Barn et Nicki la profileuse, une partie de l’univers magique de René Magritte.
Après Babylone Dream, (Prix Polar 2007) Tequila frappée, (2009) paraît, début mars 2010, Coco givrée, un troisième volet.
Pour Serge Perraud, Nadine Monfils revient sur cet univers, sur sa genèse et sur les composantes qui structurent ce monde décalé, peuplé de personnages inénarrables, où la poésie le dispute à l'effroi, où la féerie côtoie l’horreur.
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© D. R. / Johnny Cadillac & Nadine Monfils



k-libre : Vous situez le décor de vos romans à Pandore, une banlieue à la localisation indéfinie. Avec ce nom, faites-vous référence au personnage mythologique responsable de la libération de tous les maux sur Terre ou au tableau de René Magritte ?
Nadine Monfils : Aux deux. Comme Magritte je pense. Je ne crois pas qu’il ait choisi ce nom par hasard. La boîte à Pandore est celle qui contient tous les secrets. Donc, quand on l’ouvre… Mais faut-il l’ouvrir ?

À travers les principaux acteurs de vos drames, ne reconstituez-vous pas tous les maux qui se sont échappés de la fameuse boite ?
Si. Mais en même temps, le contenu de cette boîte est infini. Et chaque personnage garde une partie de ses mystères. Un peu comme des poupées russes.

Plus on avance dans la série, plus Magritte prend de place. Vos références sont de plus en plus nombreuses. Avez-vous un attachement fort à l'œuvre de ce peintre ?
Très fort sinon je n’aurais pas pu m’immerger dans son univers qui est proche du mien. Sans doute aussi parce qu’on est belges tous les deux. Il y a un mélange de poésie, de surréalisme et d’horreurs (notamment dans Le Plaisir, un de ses tableaux les moins connus où une fillette dévore un oiseau tout cru). Mais je me retrouve également dans le côté facétieux de Magritte. C’était un sacré garnement !

Dans Coco givrée, vous décrivez des scènes macabres inspirées de toiles de René Magritte comme L'Esprit de géométrie, Le Plaisir... N'est-ce pas dévoyer une œuvre brillante ?
Je pense qu’une œuvre est dévoyée si elle est dénigrée ou desservie par un mauvais roman. J’ai une telle admiration pour l’œuvre de Magritte que j’espère de tout cœur l’avoir embarquée dans un voyage où il aurait eu envie de m’accompagner.

Vous rendez hommage à un autre grand du Fantastique avec Le Domaine d'Arnheim, lieu de toutes les terreurs à Pandore. Cet auteur vous a-t-il beaucoup inspirée ?
J’ai découvert Edgar Allan Poe à travers La Lettre volée. J’ai eu l’impression de connaître la planète sur laquelle il a vécu. En ce qui concerne les influences, même si on ne peut y échapper tout à fait, j’essaie toujours d’apprendre des autres mais de n’être influencée que par moi-même.

Le chef de la police de Pandore, qui mène et diligente vos enquêtes, se nomme Lynch. N'est-ce pas, également, un hommage direct à un cinéaste dont l'œuvre conjugue des thèmes irréels, cauchemardesques et oniriques, des thèmes proches des vôtres ?
Suis fan de David Lynch. J’adore les choses cachées et les secrets. Tout ce qui ne se voit pas du premier coup d’œil. D’ailleurs dans mon film Madame Édouard c’en est truffé. Lynch explore les cauchemars et le subconscient. Il nous emmène constamment vers de fausses pistes et nous déroute. C’est ça que j’aime aussi dans l’écriture. Que rien ne soit prévisible.

Coco givrée est présenté, par votre éditeur, comme "un voyage au pays féerique des petites horreurs..." Comment faites-vous cohabiter féerie et horreur ?
J’ai toujours vécu entre le monde d’Alice au pays des merveilles et celui de Barbe Bleue. D’ailleurs leur rencontre aurait été intéressante… Je viens du pays des schtroumpfs et de C’est arrivé près de chez vous ! Mais le monde n’est-il pas comme ça ? Un mélange de féérie pour certains et d’horreurs pour d’autres ? Parfois les deux s’entrecroisent…

Ce qui est oppressant, c'est la solitude de tous vos personnages, que ce soient Lynch, Barn, Nicki... Pourquoi les concevez-vous ainsi ? Pensez-vous qu'ils peuvent, dans cette situation, mieux entrer dans vos histoires, être plus disponibles ?
Je ne sais pas. Quand j’écris, je ne me pose pas toutes ces questions. Ça vient comme ça. Un peu comme si les personnages entraient dans ma tête, ce drôle de jardin secret rempli de coquelicots, de ciguë, de ronces et d’herbes folles…

Vous écrivez "... la boisson... comme amie fidèle..." Vos héros fréquentent très régulièrement cette amie. Est-ce, pour vous, une projection de la réalité ou/et un moyen de soigner leurs angoisses ?
C’est sans doute un moyen de soigner leurs angoisses, mais aussi un plaisir. Personnellement je bois peu (j’adore la bière, c’est dans mes racines !) mais j’aime surtout l’ambiance des crapuleux bistrots, ceux que je considère comme "les hôpitaux de l’âme", parce qu’ils sont fréquentés par des gens qui ressemblent à Gabin dans Un singe en hiver. Des rêveurs qui n’ont jamais pris le large. Ces gens-là me touchent. J’ai toujours préféré les marginaux à ceux qui marchent dans les rangs.

Pourquoi en remettez-vous une couche en faisant préférer, à vos deux flics, la présence presque exclusive d'une chienne et d'un chat, plutôt que celle de compagnes ?
Parce que mes flics, à force d’en prendre plein la cafetière, sont devenus misogynes. Et qu’un chien ou un chat ne vous fait jamais de reproches quand vous rentrez déchiré ou à pas d’heure. Ils sont toujours contents de vous retrouver. Essayez ça avec une nana pour voir…

Mais avec des analyses de cette sorte : "Ah, tu vois ! Je te l'avais dit que c'était plus peinard sans emmerdeuse dans les pattes. Au début, elles sont tout miel, tout sucre, et après, tu bouffes les épines." Peut-on s'étonner qu'ils ne deviennent pas misogynes ?
La plupart des histoires d’amour finissent toujours par s’effilocher. Plutôt que misogynes, mes flics sont réalistes disons…

Certes, avec des gens "sans histoires", il est difficile de monter une intrigue. Il vaut mieux disposer de personnages atypiques. Ne pensez-vous pas aller très loin dans l'atypisme ?
C’est belge. Regardez les émissions "Strip tease" ! J’aime les couleurs vives. Sans doute parce que je suis moi-même un peu comme ça. Pas dans la norme. Et si on ne peut aller loin dans la création, où peut-on le faire ?

Mais, ne cultivez-vous pas un léger malaise ? À la fin de Tequila frappée ne remerciez-vous pas vos fils de ne pas être traumatisés avec une mère qui écrit des trucs pareils ?
Non, j’assume très bien. C ’est plutôt une forme de blague entre eux et moi. On s’adore et je pense que je les fais marrer. En fait, ils sont pires que moi !

Les souvenirs de l'enfance, le monde de l'enfance, sont très présents dans vos livres. Est-ce quelque chose qu'il vous paraît important de préserver, de conserver ?
Primordial ! Mon enfance, c’est ma boîte à Pandore justement. Celle qui ne me quitte jamais. Ce sont mes ailes, la clef de mon jardin secret. J’espère ne jamais devenir adulte, c’est trop chiant.

Vos personnages sont très attachés à leur enfance. Pourquoi ? Pensez-vous que celle-ci conditionne invariablement le futur des individus ?
Sans doute sont-ils des éclats du miroir qui me renvoie ma propre image ? Oui, je pense que l’enfance est déterminante. Si elle a été belle comme le fut la mienne, on peut toujours s’y raccrocher en cas de naufrage.

Cependant, les rapports entre les fils et leur mère sont tumultueux, que ce soit Barn et sa mère, Zouzou et Germaine, Philippe "Cousteau"... Pourquoi de tels rapports conflictuels ?
Parce que dans le domaine artistique j’aime ce qui remue et que les longs plans séquence où tout est basé sur le non-dit m’ennuient profondément. Tout comme le "peace and love". Je préfère Affreux sales et méchants à Martine à la mer. Mais dans la vie, je déteste les conflits.

Vous écrivez des chapitres courts qui se terminent par une chute brutale. Pourquoi systématisez-vous cette technique d'écriture ?
Parce que je la trouve efficace. Elle donne un rythme. Je n’ai pas toujours écrit de cette façon. Mes trente cinq autres romans sont très différents. De la littérature érotique à celle dite "blanche". C’est en entrant par hasard dans le polar que j’ai eu envie de quelque chose d’haletant, d’écrire des thrillers qu’on ne peut pas lâcher parce que j’aime ça en tant que lectrice. C’est aussi ma passion pour les séries de HBO comme "Les Sopranos", "Prison Break", "Dexter", etc. qui m’ont donné ce rythme dans l’écriture et la narration.

Coco givrée est le troisième roman, après Babylone Dream et Tequila frappée, où vous faites évoluer un microcosme autour de Lynch, Barn et Nicki. L'avez-vous conçu comme une trilogie ou allez-vous explorer d'autres volets de cet univers ?
C’est une trilogie. Je m’arrête là. Le prochain est aussi un thriller mais sans ces personnages. C’est comme une histoire d’amour. Je préfère qu’elle se termine avant de devenir tiède.

Pour Babylone Dream, vous avez reçu le prix Polar au salon Polar de Cognac. Ce prix a-t-il changé quelque chose dans votre vie de romancière ?
Non. Recevoir un prix fait toujours plaisir mais j’ai surtout pensé à mon éditrice, Geneviève Perrin et à Belfond qui se battent pour moi et tentent de faire connaître mon univers déjanté. Pas facile en France où on a tendance à parler toujours des mêmes auteurs.

Pourquoi, où, quand et comment écrivez-vous ?
Pourquoi, je n’en sais rien. Si je le savais, je n’écrirais plus. C’est justement ce mystère qui me plaît. J’écris depuis que je sais tenir un crayon. Petite je barbouillais mes cahiers d’histoires que j’inventais tout le temps. Plus tard, j’en racontais à mes fils sur le chemin de l’école. Ça ne s’est jamais arrêté. C’est une passion, un plaisir immense. Je n’ai jamais écrit dans la souffrance, même quand je débite des horreurs. Je serais par exemple incapable d’écrire sur quelque chose de personnel qui me blesse profondément. Pour moi, écrire reste dans le domaine de l’imaginaire. Pas de la réalité.
Quand ? Pratiquement tous les jours. Mais je n’ai pas de rites précis ni d’heures.
Comment ? Sur mon ordi, face à mon jardin avec mes chiens près de moi, dans le décor complètement dingo de mon appartement à Montmartre, style qui rappelle les vieux bordels des années 1900 et les roulottes de Gitans.

Question incontournable : de quels romans allez-vous régaler vos lecteurs dans les mois qui viennent ?
J’en sors un au Canada, chez Québec Amérique – un polar de la série des "Commissaire Léon", le flic qui tricote depuis qu’il a cessé de fumer : (Les Fantômes de Mont Tremblant) mais on ne le trouvera pas en France. Ça c’est pour les voyageurs ! Et j’écris un nouveau thriller pour Belfond qui se penche aussi sur l’idée de publier la série des "Commissaire Léon". Pour le reste, je prépare mon prochain film Nickel Blues - tiré du polar du même nom, publié chez Belfond. Avec Émilie Dequenne, Dominique Lavanant, Annie Cordy, Dominique Pinon et une musique d’Arno. Bref, je ne chôme pas !


Liens : Nadine Monfils | Tequila frappée | Coco givrée Propos recueillis par Serge Perraud

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