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Carlo A. Martigli transforme un des brillants esprits de l'humanité en héros de polar.
Avec ces deux volets qui se répondent à quatre siècles et demi de distance, Carlo A. Martigli construit un récit passionnant basé sur la personnalité de ce philosophe, sur les théories qu'il professe et, en conséquence, ses démêlés avec le pape Innocent VIII et l'Inquisition. Il complète son sujet avec l'hypothèse selon laquelle son œuvre n'a pas été détruite, mais...
L'Ultime gardien séduit par la qualité de l'intrigue, par sa rigueur historique et la richesse de la fiction, par la personnalité de son étonnant héros. Sa lecture donne envie d'en savoir plus sur Carlo A. Martigli, sur les raisons qui l'ont conduit à écrire ce livre.
Rencontre par Internet avec un auteur aux multiples facettes.
© D. R.
k-libre : Faire de Giovanni Pico comte della Mirandola le héros d'un roman d'aventures historiques n'est-elle pas une idée audacieuse et originale ? Cependant sa vie n'est-elle pas une suite d'aventures multiples et variées ?
Carlo A. Martigli : Si, c'est vrai, c'était une idée audacieuse et originale, comme l'est la vie de Giovanni Pico comte della Mirandola, un homme extraordinaire, plus génial que Léonard de Vinci. Léonard de Vinci représnte le monde romain, celui du faire, alors que Giovanni Pico représente le monde grec, celui de la pensée. Et lui a eu le courage de défier franchement l'establishment de l'Église, en ayant conscience qu'il en paierait les conséquences. Pourtant, c'était l'homme le plus riche d'Italie, 1,88 mètres, blond, très séduisant. Il pouvait rester tranquille dans ses châteaux à étudier et se divertir avec ses "fans".
k-libre : Comment avez-vous "rencontré" Giovanni Pico ?
Carlo A. Martigli : J'ai rencontré Pico pendant mes études de religions comparées. J'étais en train d'approfondir le thème de la Kabbale quand je suis tombé sur ses Neuf cents conclusions. L'idée qu'un homme, il y a plus de cinq cents ans, ait eu à l'esprit d'unifier les trois religions monothéistes, le christianisme, l'islam et le judaïsme, m'a semblé stupéfiant et révolutionnaire. Il le serait encore aujourd'hui, et peut-être éviterions-nous les guerres menées au nom de Dieu. En réalité, nous savons bien comment elles sont dictées par des intérêts économiques, de la part des marchands d'armes, de pétrole et de drogue. Si nous croyions en un Dieu unique, au moins ces messieurs ne pourraient plus embrouiller les gens les plus pauvres et les plus ignorants.
k-libre : Qu'est-ce qui vous a donné envie d'écrire un livre d'aventures policières alors que vous auriez pu, tout aussi bien, rédiger une biographie de Giovanni Pico ?
Carlo A. Martigli : Parfois les livres sont simplement les instruments qui permettent à un auteur d'exprimer ce qu'il pense et de le faire connaître aux autres. Un essai n'a pas la force de communication d'un roman ni sa diffusion. Quelqu'un qui écrit avec ses tripes comme moi sait qu'un essai n'est pas suffisant. Un essai donne des réponses, alors qu'un roman pose mille questions, et je crois que ces dernières ouvrent l'esprit alors que les premières parfois le ferment. Il est évident que j'aime mieux les questions que les réponses.
k-libre : Giovanni Pico, à vingt-quatre ans, avait écrit 900 Thèses philosophiques et religieuses. Ont-elles disparu totalement ? En a-t-on une connaissance partielle par d'autres sources ?
Carlo A. Martigli : Les 900 Thèses philosophiques et religieuses est un livre que tout le monde peut consulter, et dans les siècles passés il a été l'objet de nombreuses études. Dans le village de Pico, en Émilie-Romagne, il y a le Centre international de culture Pico della Mirandola (Centro Internazionale di Cultura Pico della Mirandola), et j'y suis allé plusieurs fois pour mes recherches. Récemment on a publié en chinois l'Oratio de hominis dignitate, qui devait être le prélude au concile que le philosophe avait organisé à ses propres frais à Rome. Mais naturellement ses thèses furent déclarées hérétiques, et Pico obligé de fuir.
k-libre : Qu'est-ce qui a fait le plus peur au pape Innocent VIII : le contenu des Thèses ou un "concile", à Rome, qui réunirait les théologiens des trois grandes religions monothéistes ?
Carlo A. Martigli : Sans aucun doute le concile. C'était avant tout un affront à son pouvoir. Àl'époque ils n'étaient pas nombreux à savoir lire mais organiser un concile où discuter de l'unification des trois religions en présence de philosophes et savants du monde entier pouvait avoir un effet dévastateur pour sa propre église.
k-libre : La mort, à trente et un ans, de Giovanni Pico est marquée par le mystère. A-t-on, aujourd'hui, une connaissance réelle des causes de son décès, de l'identité de son assassin et de son commanditaire ?
Carlo A. Martigli : C'est un grand mystère et très réel. En 2007, un groupe de chercheurs accompagné de carabiniers des services spéciaux ont ouvert le tombeau de Pico sur l'avis du père dominicain qui le garde dans l'église San Marco à Florence. Ils ont dit qu'ils le faisaient pour savoir comment il était mort. Mais c'est un sombre mensonge que j'ai dénoncé plusieurs fois et à haute voix. Depuis des siècles, tous les chercheurs de Pico savent bien qu'il est mort empoisonné et précisément à l'arsenic. De nombreux témoins ont vu Pico avec la langue et les ongles noirs, signe irrévocable de l'empoisonnement à l'arsenic. Et alors ? Pourquoi ont-ils menti ? Pourquoi y avait-il aussi les carabiniers conduit par le chef de la RSI (Reparti Investigativi Speciali), le général Luciano Garofano ? Que cherchaient-ils vraiment dans la tombe ? J'étais déjà en train d'écrire le livre et je me suis demandé alors si mes hypothèses n'étaient pas si éloignées de la réalité. Peut-être voulaient-ils découvrir le mystère de l'inscription sur sa tombe : "Caetera norunt et Tagus et Ganges forsan et Antipodes" dont nous ignorons encore la signification. Tout le monde peut le vérifier. Venez à Florence et vous la découvrirez.
k-libre : Vous évoquez l'idée que les Thèses de Giovanni Pico, sur la nature de Dieu, ont pu déclencher une chasse aux sorcières dans toute l'Europe. Étaient-ce des représailles contre la féminité ou une forme de négation des Thèses ?
Carlo A. Martigli : Toutes les religions se basent sur l'idée d'un dieu masculin, même celle dans lesquelles Dieu ne peut être représenté. Mais quand personne ne disait à l'homme qui adorer, avec quels rites, et avec quels intermédiaires, comme les prêtres, l'homme créait dieu à son image et à sa ressemblance (et non inversement) et faisait des statuettes avec des caractéristiques féminines, avec de grands seins, un grand ventre et de larges fesses. Comme la fameuse Vénus de Willendorf, il y a trente mille ans. Si au XVe siècle, l'image de Dieu avait été ruinée, en supposant qu'elle était une figure féminine, toute l'autorité de l'homme en aurait été affaiblie. Ainsi il s'agissait de cibler/frapper la femme, et le Malleus Maleficarum (best seller de l'époque) fut l'instrument dont se servait l'église chrétienne pour rendre impossible le rêve de Pico. Dans mon roman, naturellement, mais je ne crois pas avoir été si loin de la vérité.
k-libre : Vous évoquez, également, l'écriture par Giovanni Pico de Quatre-vingt-dix-neuf dernières Conclusions, les Thèses secrètes. Étaient-elles un complément à son œuvre principale ou un élément de fiction pour votre intrigue ?
Carlo A. Martigli : L'Ultime gardien est un roman et Quatre-vingt-dix-neuf dernières Conclusions, les Thèses secrètes font partie de la fiction, mais jusqu'à un certain point. Elles sont "possibles et probables" dans le sens où elles sont logiques et les conséquences du fait que Pico ne pouvait ignorer l'existence des origines féminines de Dieu. C'est vrai, l'histoire ne le dit pas, mais je me souviens que Jean Cocteau disait : À l'histoire, je préfère la mythologie, parce que l'histoire fait partie de la réalité et va souvent vers le mensonge, alors que la mythologie fait partie de l'imagination et va rapidement vers la réalité".
k-libre : Vous faites manipuler à Giovanni Pico des produits, fabriquer des colles très spéciales. Avait-il également des compétences en alchimie ?
Carlo A. Martigli : Oui, absolument. La connaissance alchimique faisait partie de son bagage culturel. À l'époque tous les principaux philosophes, théologiens, savants, non seulement n'ignoraient pas l'alchimie mais la pratiquaient. Comme Pico, qui recherchait ses lois dans la dite magie naturelle, à laquelle il dédit ses ultimes études dans sa prison dorée de Florence.
k-libre : Vous faites de Giovanni Pico un personnage qui possède une forte empathie, qui dégage de la sympathie et obtient de nombreux soutiens. Était-ce la réalité ?
Carlo A. Martigli : Pico della Mirandola était un homme cultivé, brillant et extrêmement intelligent. Je crois que tout le monde éprouvait quelque chose pour lui. Et dans la réalité il conquit les cœurs et les esprits de nombreuses personnes, de Laurent le Magnifique à ce même pape qui le condamna, Innocent VIII ainsi que son successeur Alexandre VI Borgia, qui le pardonna. Beaucoup de femmes et d'hommes tombèrent amoureux de lui, jusqu'à ce poète qui réussit, quarante ans après sa mort, à se faire enterrer avec lui pour qu'ils restent ensemble pour l'éternité.
k-libre : Pour écrire L'Ultime gardien, vous avez dû vous plonger dans une documentation impressionnante. Trouve-t-on beaucoup d'archives sur ce philosophe et son environnement ?
Carlo A. Martigli : Je dois remercier mon père qui m'a laissé une belle bibliothèque et surtout un grand goût pour les lectures historiques et philosophiques depuis que je suis enfant. C'est vrai aussi que quand je suis au travail, les neuf dixièmes de mon temps sont consacrés à la recherche et seulement le reste à l'écriture. D'autre part, la rigueur historique et la découverte des mystères ne viennent pas de nulle part, et dans mon cas, elles sont le fruit d'années et d'années d'études. Mais c'est ainsi que je me divertis.
k-libre : Vous faites de Giacomo de Mola, en 1938, le vingt-deuxième gardien du livre interdit. Pourquoi avez-vous mis en place une telle organisation ?
Carlo A. Martigli : Parce que me plaît le fait que le battement d'aile d'un papillon à Paris puisse provoquer la chute du gouvernement en Italie. Je dis en blaguant la vérité. Ça me plaît que tout soit lié logiquement à travers le temps, je trouve ça fascinant et mes lecteurs le trouvent aussi.
k-libre : Votre livre se déroule sur deux périodes, entre 1486 et 1494, et entre 1938 et 1939 où vous faites évoluer Le Gardien dans l'Italie fasciste. Pourquoi avoir choisi cette période ?
Carlo A. Martigli : Comme à la fin du XVe siècle, dans les années 1938 et 1939, le monde était à un tournant, le délire d'omnipotence d'Hitler avait entraîné dans le gouffre même ce fantoche de Mussolini. Il y a une grande similitude entre ces deux époques. Et celle-ci est la troisième. Comme alors, je crois que les années qui viennent apporteront de grands changements, l'Europe est comme l'Empire romain vers la fin. Edward Gibbon a écrit : Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain une des plus grandes œuvres historiques de tous les temps. J'espère ne pas en lire une à propos de l'Europe, du moins pas sur sa chute, car dans le déclin nous y sommes déjà.
k-libre : Nombre de personnages authentiques peuplent votre livre. On retrouve par exemple, Girolamo Savonarola, qui était très lié à Giovanni Pico. Comment un homme à l'esprit aussi ouvert que le comte della Mirandola pouvait-il s'entendre avec un fanatique ?
Carlo A. Martigli : Ce fanatique - indubitablement -, plus on l'étudie, plus il réserve de surprises. Savonarola et le comte étaient amis, ils avaient des idées différentes mais ils s'estimaient (incroyable, n'est-ce pas ? Je pense aux hommes politique actuels) et se fréquentaient. On dirait aujourd'hui que les méthodes de Savonarola étaient celles du "fondamentaliste chrétien" mais certaines de ses idées sur la justice terrestre, sur la pauvreté de l'Église et son message sur Jésus, d'un côté, préparaient le terrain à la grande Réforme et sont encore valables aujourd'hui.
k-libre : Vous faites intervenir dans votre intrigue Cristoforo, un fils naturel d'Innocent VIII, féru d'alchimie arabe et de voyages. Il a le projet de passer par l'Atlantique pour rejoindre les Indes. Est-ce celui que le monde connaitra comme Christophe Colomb, le découvreur des Amériques ?
Carlo A. Martigli : Certainement il y a de nombreux indices qui tendent à penser que Colomb, véritable alchimiste, ait été le fils d'Innocent VIII. Et qu'il ait très bien su que ce n'était pas la voie pour les Indes mais la recherche d'un nouveau continent. Je raconterai un jour certains épisodes très particuliers et a priori incroyables. Un seul exemple suffira. Sur la tombe d'Innocent VIII, scellée peu de jours après sa mort en juillet 1442 (peu de jours avant que Colomb parte) il a été écrit : "Durant son règne la découverte d'un Nouveau Monde". Très curieux, n'est-ce pas ? Peut-être le graveur de pierres était-il voyant ?
k-libre : Vous faites une description peu flatteuse des papes et des autres responsables de l'Église et du Vatican. N'exagérez-vous pas quelque peu ?
Carlo A. Martigli : J'ai même été trop gentil ! Ce qui arrivait à la cour des papes comme Innocent VIII ou Alexandre VI est inénarrable. Amusant peut-être, mais aussi dégoûtant, comme à l'époque de certains empereurs romains. Nous avons les chroniques de leurs temps. Aujourd'hui, nous avons une idée de l'Église beaucoup plus sérieuse, et elle l'est indubitablement, mais à l'époque il suffisait d'avoir de l'argent et tout s'achetait, la papauté et les postes de cardinaux, le pardon divin et l'impunité terrestre. À y bien penser, ça n'a pas beaucoup changé depuis, n'est-ce pas ? Je me réfère au dernier concept, naturellement.
k-libre : Vous faites planer l'ombre d'Himmler sur votre livre en écrivant que celui-ci, informé de l'existence des Thèses de Giovanni Pico, veut absolument ce livre. Y-a-t-il un fondement historique à cette intervention ?
Carlo A. Martigli : Si le livre avait existé, Himmler l'aurait certainement voulu. Le fait est que l'Église catholique allemande, grâce aussi au courage du cardinal Michael von Faulhaber, appelé par les nazis "der Judenkardinal", le cardinal juif, était l'unique bastion sérieux qui s'opposait dans ces années à la divinisation de Hitler. Ce livre qui aurait donné à l'époque un certificat de fausseté aux traditions de l'Église même, aurait été utile au nazisme.
k-libre : Pourquoi introduisez-vous, en plus des éléments d'aventures un peu de fantastique avec cette sphère qui accompagne Giovanni Pico dans les grandes circonstances de sa vie ?
Carlo A. Martigli : Cela pourra paraître étrange mais divers témoins et toutes les chroniques de l'époque rapportent et donnent absolument pour vraie l'histoire de la boule de feu qui entra dans la chambre de la parturiente quand naquit Giovanni Pico. Est-ce un hasard, un feu superficiel, un éclair globulaire ? Il n'a pas été dit que c'était quelque chose de miraculeux. Mais quelque chose d'étrange, ça l'a vraiment été.
k-libre : L'Ultime Gardien n'est pas votre premier livre. Vous êtes l'auteur d'une série de fantasy pour la jeunesse et, sous pseudonyme, d'une série de romans d'horreur. Savez-vous si des traductions en français sont en cours, si des projets se discutent ?...
Carlo A. Martigli : Je sais qu'il y a des projets en cours, mais c'est mon ami Piergiorgio Nicolazzini, le meilleur agent littéraire au monde, qui s'en occupe. Demandez-le-lui. Je serais heureux de procurer de l'horreur à mes jeunes amis français, comme déjà Johnny Rosso l'a fait avec les jeunes Italiens. Je m'amuse beaucoup à écrire ses livres, et je les écris quand je me repose.
k-libre : Sur quels sujets travaillez-vous actuellement ? Quelles bonnes surprises nous réservez-vous ?
Carlo A. Martigli : Le prochain livre sortira en 2011 avec le groupe éditorial Longanesi. Je peux seulement dire que je ne trahirai pas les lecteurs de L'Ultime gardien, plus de cent mille en Italie, et j'espère que ce sera la même chose en France. Et j'ajoute que le mystère, absolument réel, qui est à la base de ce nouveau livre est beaucoup, mais beaucoup plus grand et incroyable que celui raconté dans L'Ultime gardien. Le reste est top secret !
Propos aimablement traduits par Marie-Caroline Saussier
Liens : Carlo A. Martigli | L'Ultime gardien Propos recueillis par Serge Perraud