L'Affaire de Road Hill House

Les éructations de Zak renvoyaient direct à Rimbaud, à Corso, à Ginsberg tout en restant grosso modo anar poilu, crevons le capital, l'État c'est du caca, la dope ise goude for you.
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jeudi 25 avril

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Essai - Policier

L'Affaire de Road Hill House

Faits divers MAJ samedi 30 juillet 2011

Note accordée au livre: 5 sur 5

Poche
Réédition

Tout public

Prix: 0 €

Kate Summerscale
The Suspicions of Mr Whicher or The Murder at Road Hill House - 2008
Traduit de l'anglais par Éric Chédaille
Paris : 10-18, septembre 2009
524 p. ; illustrations en noir & blanc ; 18 x 11 cm
ISBN 978-2-264-04895-0
Coll. "Domaine étranger", 4264

Le fait divers à l'origine de la littérature de genre

Dès sa sortie en Angleterre, le pavé de Kate Summerscale a fait un carton et a obtenu un prix prestigieux en catégorie "non-fiction". L'Affaire de Road Hill House est parue en version poche dans la collection "Domaine étranger" des éditions 10-18 après avoir rencontré le succès en grand format chez Christian Bourgois. De quoi s'agit-il ? Du récit fort documenté, jour par jour, puis par mois, enfin par années, d'un crime célèbre en Grande-Bretagne. Il se déroula au cours de la nuit du vendredi 29 au samedi 30 juin 1860 dans une grande maison bourgeoise habitée par un inspecteur de manufactures, Samuel Kent, sa deuxième femme et leurs trois enfants âgés de deux à cinq ans, ainsi que quatre enfants survivants d'un premier lit (cinq autres étant morts à la naissance !), âgés de quinze, seize, vingt-huit et vingt-neuf5 ans. Un cinquième, matelot embarqué au moment des faits, ne sera pas inquiété.

Le petit Saville (issu d'une deuxième union), trois ans, disparaît du lit placé dans la chambre de sa nurse. Dans un premier temps, celle-ci pense que sa mère, enceinte de huit mois (elle accouchera d'ailleurs peu de temps après le meurtre) l'a pris avec elle pendant la nuit mais, au matin, force est de constater qu'il est introuvable. Famille et domestiques se lancent dans les recherches tandis que le père fait atteler une calèche et se précipite au bourg le plus proche pour prévenir la police. Road Hill House est entourée de maisons misérables où vivent de pauvres gens qui ont des liens étroits avec les domestiques mais des relations tendues avec Samuel Kent qui traque les braconniers. C'est l'un de ces habitants qui retrouvera, dans une fosse d'aisance, l'enfant égorgé que l'on s'est acharné ensuite à faire passer par l'étroite lunette. Ce fait divers devient immédiatement une cause célèbre et présente des similitudes, cent vingt-quatre ans plus tard, avec "L'Affaire Grégory".

Le texte est une sorte de thèse d'histoire, de sociologie, de criminologie et de littérature avec un fil ô combien rouge. Grâce à l'expansion de la presse, cet horrible meurtre d'un innocent dynamite l'image de la sacro-sainte cellule familiale victorienne et permet ainsi au peuple d'entrer dans l'intimité (perverse ?) d'une classe bourgeoise en pleine gloire grâce à l'industrialisation. Car, c'est un fait, le ou la coupable vit dans la maison, même si une fenêtre du salon a été ouverte pour faire diversion. À Londres, on a justement créé un département spécial de détectives aux pleins pouvoirs pour résoudre les affaires difficiles. C'est l'un d'eux, Jonathan Whicher, qui va être chargé de l'enquête. Et il s'y casse les dents. Kate Summerscale le suit pas à pas dans ses démarches et nous donne à lire ses rapports. La presse se déchaîne. Elle suspecte des relations coupables entre la nurse et le maître de maison. L'enfant, dormant dans la même chambre, aurait surpris leurs ébats et le père l'aurait lui-même tué pour qu'il ne parle pas. Les lecteurs envoient leurs cogitations. Tous les habitants de la maison sont suspectés. On publie le plan ainsi que les photos (un cahier est d'ailleurs inclus dans le livre) des personnes et des lieux. La photographie, alors en pleine ascension, va nourrir l'affaire. Le détective inspecteur apprend que la première femme de Kent est morte folle. Que la deuxième femme actuelle était auparavant la gouvernante des enfants et la maîtresse de Kent. Que les enfants du premier lit sont délaissés. Que Samuel Kent est un engrosseur forcené, père, au minimum, de quinze enfants. Et, bien sûr, personne ne parle, personne ne se dénonce. Pourtant, Whicher ne tarde pas à isoler un probable coupable grâce à une chemise de nuit disparue et à une vieille histoire où des éléments furent jetés dans une fosse d'aisance. Mais personne ne le croit. Sa carrière est détruite alors que, cinq ans plus tard, les aveux retentissants de l'assassin lui donnent raison. Rançon de cette sinistre gloire : Kate Summerscale met en évidence les liens de cette affaire avec les premiers romans policiers qui vont lancer le genre : Wilkie Colins (La Pierre de Lune, 1868), Mary Elizabeth Braddon (Le Secret de Lady Audley, 1862) et même Henry James (Le Tour d'écrou, 1898) vont s'en inspirer directement tandis que Charles Dickens va participer activement à l'enquête et créer son détective à partir de Whicher. Pour enfoncer le clou, Kate Summerscale adopte même une structure de roman policier avec révélation du coupable au milieu de son texte... Mais est-ce la vérité ? Ou une dénonciation pour innocenter le vrai coupable ? Y avait-il un complice ? Tout reste ouvert. Elle poursuit son récit, enquêtant sur les cinq enfants morts à la naissance de la première Mme Kent. Elle en propose une explication vraisemblable et étonnante. Puis elle décrit le "après" des protagonistes (le plus jeune des enfants du premier lit devient un grand savant), mourant les uns après les autres au fil des années. Et ce n'est pas sans ironie que "l'assassin" sera celui qui fera les plus vieux os puisqu'il finira centenaire !

Voilà, une remarquable étude dont le spectre d'investigation est incroyable. La version poche propose en outre plusieurs bonus : des portraits de Whicher tout d'abord, mais surtout une vue stéréoscopique de Road Hill House envoyée par un lecteur à Kate Summerscale. À l'époque, c'était une vue prise avec un appareil à deux objectifs légèrement décalés, permettant un relief quand on passait le carton dans une visionneuse. Mais là, Kate Summerscale se rend compte que le photographe a pris deux clichés séparés, avec un appareil simple. Sur la deuxième vue, deux silhouettes apparaissent derrière une fenêtre. Qui sont ces fantômes ? Et l'auteur de détailler une nouvelle mini-enquête dans son passionnant post-scriptum...

Citation

Les nouveaux journalistes avaient beaucoup en commun avec les détectives : ils étaient tour à tour regardés comme des champions de la vérité et de sordides voyeurs. Sept cents titres paraissaient en Grande-Bretagne en 1855 ; leur nombre se porta à onze cents en 1860.

Rédacteur: Michel Amelin lundi 25 juillet 2011
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