Après la guerre

En écrire la chronique quotidienne exige de faire le tri dans l'abjection des récits, de choisir les mots qui préserveront au mieux la dignité des victimes et de leurs proches. De mettre de la pudeur dans l'obscénité, des mots sur l'indicible, de montrer sans voyeurisme.
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mardi 15 octobre

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Roman - Noir

Après la guerre

Vengeance - Guerre MAJ samedi 17 mai 2014

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 19,9 €

Hervé Le Corre
Paris : Rivages, mars 2014
524 p. ; 23 x 16 cm
ISBN 978-2-7436-2726-3
Coll. "Thriller"

Actualités

La glaire des guerres

Hervé Le Corre est un romancier discret qui prend le temps d'écrire ses romans à un rythme quinquennal. La trame de ce nouveau récit repose sur un héritage douloureux, celui de la collaboration pendant la Seconde Guerre mondiale avec son lot de mesquineries (au mieux) et de trahisons (au pire). En filigranes, le rôle de la police, accusée souvent d'avoir fait qu'obéir aux ordres. Mais cette intrigue va bien plus loin que chercher les origines d'une vengeance dans les tréfonds d'un conflit abominable. Elle va également puiser dans les conflits qui ont suivi, de la guerre d'Indochine à celle d'Algérie (au sujet de laquelle de plus en plus de romanciers prennent la plume) afin d'amplifier un fond humaniste et sociétal. Et Hervé Le Corre de mettre en avant la bêtise humaine, cette incapacité que l'on peut avoir à se souvenir, en décrivant pendant cette guerre d'Algérie qui a forcé beaucoup d'appelés à se murer dans un silence oppressant, des tortures et des massacres commis avant tout par des Français qui semblent avoir perdu de vue que ces mêmes tortures et massacres, ils en ont été victimes moins de vingt ans plus tôt...

Comme souvent chez l'auteur, l'action se déroule principalement à Bordeaux, une préfecture tenue par le tristement célèbre Papon pendant la Seconde Guerre mondiale. Le commissaire Darlac s'en est sorti indemne malgré ses exactions. Ce flic pourri a bouffé à tous les râteliers n'écoutant qu'un ventre lubrique et envieux. Il a trahi ses meilleurs amis, vendu ses ennemis et fait tuer plus que de raison. Mais dans les années 1950, il va croiser Daniel, un jeune idéaliste amoureux de la vie et d'une jolie fille. Un jeune qui a perdu ses parents pendant la guerre, déportés dans des camps, lui ne se sauvant que parce que sa mère l'a fait monter sur les toits où il a attendu de longues heures que l'on vienne le chercher, de la pisse plein le pantalon. Pour l'heure Daniel travaille dans un garage comme apprenti mécanicien en attendant que la guerre d'Algérie l'appelle. Mais c'est bel et bien son père qui débarque avec une moto. Un père qu'évidemment il ne reconnait pas et qui lui cache ses émotions et son identité. Car le père a une mission : se venger de ceux qui ont tué sa femme et cru l'assassiner par procuration nazie. Mais il se doit également de reconquérir l'estime de tous ceux qui l'ont connus. Il faut bien le dire, le portrait de cet homme que dresse Hervé Le Corre n'est pas non plus glorieux : dandy nocturne des beaux quartiers, joueur invétéré qui cocufie sa femme chaque nuit et délaisse son enfant à peine né, flambeur aveugle sûr de ses relations avec la police pour passer à côté des rafles. Sauf que quand les relations ont pour nom Darlac, l'on se doit de se méfier ce que d'une assurance crasse il n'a pas fait. Alors ce père va se venger tout en renouant avec de vieilles connaissances que peu à peu il amadoue. L'étau va se resserrer autour de Darlac. Là encore le portrait n'est pas glorieux. Il est détaillé au vitriol. Darlac est une enflure de la pire espèce. Une enflure professionnelle qui ramène du boulot à la maison. Sa femme, il la viole quand il le veut, c'est-à-dire quand il rentre en colère et bourré, autant dire tous les jours. Elle, a son lot de petits secrets qui la rendent particulièrement émouvante à l'image des autres femmes du roman qui bien souvent sont des victimes.

Hervé Le Corre a le souci des descriptions fines et amplifiées, il aime à nouer de petites histoires à la grande Histoire. Il nous emmène dans une ville bourgeoise avec ses jolies rues qui plongent dans des ruelles plus sombres où des rades cachent une misère sociétale avinée. Qui a déjà été dans Bordeaux se remémore des sensations. Car la ville malgré les années et ce qu'elle a pu voir comme spectacle affligeant est d'une pierre éternelle. Avec Après la guerre (quel titre !), il nous plonge dans l'horreur des guerres à répétition où les victimes se transforment en bourreaux, où d'autres victimes deviennent juges. Mais il se permet également dans ce roman ambitieux où l'on sent que chacun des mots a été pesé puis soupesé avant que d'être employé de dépeindre une société jeune sure de son avenir, sure de faire changer les choses. Ces jeunes étudiants idéalistes qui pour certains décident de ne pas parti à la guerre parce qu'ils se sentent proches des Algériens, peuple oppressé. L'Algérie qui dresse est étonnamment chaleureuse et accueillante. Hervé Le Corre ne fait qu'effleurer la guerre d'Indochine. D'un côté, c'est tant mieux, car le roman fait déjà ses cinq cents pages bien tassées, d'un autre c'est dommage car l'on sent bien qu'il y avait une volonté de l'auteur de l'incorporer à son récit démonstratif. Il n'empêche que Après la guerre est un grand roman avec une bien jolie veine romanesque. Une épopée de gens ordinaires dans un demi-siècle étrange et fou, qui se pare d'une fin appréciée à défaut d'être appréciable. Souhaitons que Hervé Le Corre ne nous fera pas languir jusqu'en 2019 pour nous proposer son prochain récit...

Récompenses :
Prix Polar Michel Lebrun 2014
Prix Landerneau Polar 2014
Trophée 813 du roman francophone 2015

Nominations :
Prix Polar Michel Lebrun
Prix des lecteurs de Villeneuve lez Avignon 2014

Citation

Il ne sait pas bien s'il lui est arrivé quelque chose. Il sait que quelque chose lui manque et il sent ça là, au creux de son ventre, entre sternum et estomac. C'est là comme un trou. Une boule de vide. Des fois ça fait mal, ça se noue, c'est amer et alors il crache ou dégueule quelques glaires. La guerre. Il a peur, soudain. Mais il voudrait aller voir de quoi, en dépit de tout ce qui l'écœure.

Rédacteur: Julien Védrenne vendredi 04 avril 2014
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