Daisy Sisters

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mercredi 24 avril

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Roman - Noir

Daisy Sisters

Politique - Social MAJ mardi 19 mai 2015

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 22,5 €

Henning Mankell
Daisy Sisters - 1982
Traduit du suédois par Agneta Ségol, Marianne Ségol-Samoy
Paris : Le Seuil, avril 2015
506 p. ; 22 x 15 cm
ISBN 978-2-02-103019-8

À la gloire de l'ouvrière inconnue

Le livre se déroule en cinq temps : 1941, 1956, 1960, 1972 et 1981, et se profile sur quatre décennies d'histoire sociale de la Suède.
La première partie met en scène deux copines, la Scanienne Vivi Karlsson et Elna Skoglund, la Norrlandaise, qui se sont connues par hasard, à l'adolescence, comme correspondantes scolaires. Elles sont originaires de la classe ouvrière, mais le père de la première est communiste et celui de la seconde social-démocrate, ce qui en fait des adversaires. Elles se rencontrent physiquement cette année-là à l'occasion d'une escapade à bicyclette à la frontière norvégienne qui tourne mal, puisqu'Elna est violée par un soldat et se retrouve enceinte, ce qui nous vaut une scène assez sordide d'avortement clandestin (au demeurant raté). Elna mettra donc au monde, début 1942, une fille prénommée Eivor. Dans la deuxième partie, Elna est devenue Mme Sjögren, mais c'est Eivor qui est au centre des événements. Elle rencontre un jeune repris de justice évadé de prison du nom de Lasse Nyman. Comme elle est en conflit avec sa mère pour son indépendance, elle fugue avec lui et ils s'embarquent dans une équipée à la Bonnie and Clyde dont, par miracle, Eivor sort indemne. Dans la troisième, Eivor part à Borås, où elle commence à travailler dans une usine textile et rencontre bientôt Jacob Halvorson. Elle a un enfant de lui, l'épouse mais, quand elle veut travailler pour s'assurer une certaine indépendance, c'est le conflit. Il lui fait alors un autre enfant pour l'en empêcher, tandis que sa mère, Elna, lui donne... une petite sœur. En 1972, nous la retrouvons à Göteborg, où elle vit en mère célibataire avec ses enfants et cherche à s'élever par le travail, en devenant par exemple infirmière. Mais le prix à payer est trop lourd pour elle dont le bagage scolaire est minimum. C'est alors que Lasse Nyman retrouve sa trace et se manifeste, plein de contrition, pour lui faire le genre d'offre qu'on ne peut refuser : une semaine à Madère tous frais payés et sans les enfants, qui sont chez son mari ! Mais le voyage ne tient pas toutes ses promesses et révèle la vraie nature de Lasse. Le retour à la réalité est brutal et a un relent de "déjà-vu" dans l'existence d'Eivor. Ses rêves en prennent un coup et elle constate qu'elle n'est pas la seule dans son cas. L'épilogue se situe dans la petite ville de Borlänge, où Eivor est ouvrière d'usine et conduit un pont roulant. Elle est presque la seule femme et en bute à un sexisme débile aux provocations duquel elle répond par une autre provocation. Elle refait sa vie avec Peo, gardien de nuit, non sans heurts avec ses enfants, et commence à se sentir dépassée, à l'entrée de l'âge mûr. Linda, sa fille, tombe enceinte à son tour. Mais le pire, c'est la Crise qui se profile, menace les emplois et incite la classe ouvrière à se réfugier dans le chacun pour soi. L'avenir est bien incertain. Pourtant, Eivor, elle, demeure convaincue que la vie reste avant tout une lutte tant individuelle que collective et c'est cela qui la maintient à flot.
Plus qu'un roman, ce livre est une chronique sur la condition féminine dans la seconde moitié du XXe siècle, en Suède mais aussi dans le monde entier par le biais du voyage à Madère. Il ne possède pas le moindre caractère policier (c'est pourquoi on peut en raconter l'intrigue dans sa totalité) et on imagine les moues de dédain qui auraient accueilli le traducteur le proposant à un éditeur français au moment de sa parution. Rappelons en effet qu'elle date de 1982, qu'il a été écrit par un homme et que le féminisme et la parité n'étaient pas encore portés en sautoir lors des dîners en ville en France et ailleurs. Si on aime la Suède et sa littérature, on peut bien sûr se réjouir qu'il ait échappé au sort de tant d'autres volumes de son genre. Mais s'il n'avait pas pour auteur un certain Henning Mankell, il ne fait pas de doute que l'éditeur français ne lui aurait pas accordé cinq minutes d'attention. Sans être un chef-d'œuvre à proprement parler, il est remarquable par sa structure, sa façon de changer de point de vue à l'intérieur d'un chapitre, voire d'un passage narratif (même s'il reste féminin dans son ensemble, certains hommes n'ayant pas attendu les femmes pour être féministes), la sobriété de son réalisme social (en pleine vogue d'un "modèle suédois" aujourd'hui bien abîmé), la réflexion qui y est menée sur l'interaction des destins, aussi bien individuels que collectifs et la lucidité de l'auteur sur l'avenir du monde. On peut y constater, par exemple, que le scandale de l'amiante battait déjà son plein (en Suède, pas chez nous, bien entendu, où on n'en parle encore qu'à mots couverts) et qu'il est prophétique, trente ans à l'avance, sur une foule de points de la société actuelle. C'est donc un souffle d'air frais dans notre vie littéraire si convenue. Peut-on espérer que l'éditeur français ira de nouveau piocher dans la production "pré-Wallander" de l'auteur ? Il ne pourra se réfugier derrière l'éternel prétexte de mauvaises ventes, en tout cas.

Citation

La modeste pierre tombale ne dit rien sur son honnêteté et sa contribution consciencieuse à la construction de ce pays.

Rédacteur: Philippe Bouquet lundi 18 mai 2015
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