Roméo sans Juliette

Dans le silence habité de cette immense bâtisse campagnarde, il est un coureur de fond livré aux pensées tournoyantes de la nuit, aux angles épineux de ses souvenirs, dans les racines saillantes de son arbre généalogique, aux mains douceâtres de l'homme de la nuit, dans la pièce saturée d'odeurs de fleurs pourries.
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Roman - Noir

Roméo sans Juliette

Social - Complot MAJ mercredi 10 juin 2015

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Inédit

À partir de 13 ans

Prix: 14,5 €

Jean-Paul Nozière
Paris : Thierry Magnier, mai 2015
272 p. ; 22 x 14 cm
ISBN 978-2-36474-701-2
Coll. "Romans ados"

Rédemption

Il s'appelle Roméo, elle s'appelle Juliette. Ils sont voisins depuis toujours et, évidemment, se sont toujours aimés. Ils connaissent l'histoire de leurs homonymes et se sont promis, enfants, que la leur serait différente ; ils ne savaient pas à quel point, et à quel point ils le regretteraient. Car les histoires romancées finissent peut-être mal, mais au moins finissent-elles quand on referme le livre. Qu'en sera-t-il de la leur ? Comment et quand la leur finira-t-elle ? Embrigadé sans trop savoir comment et pour quelle cause, Roméo – devenu Romé - est tiraillé entre Juliette et ses "amis" avec lesquels il joue au dur et s'embarque dans de sombres combines ; Juliette, elle, est tiraillée entre son rêve d'humanitaire et ce jeune homme dont elle est irrémédiablement amoureuse mais qui lui échappe chaque jour un peu plus, et qu'elle ne parvient pas à comprendre. Et le jour où, enfin, elle ouvre les yeux, c'est encore pire que le pire des scénarios. Quand la violence et la bêtise ordinaires frappent à la porte, peu d'entre nous trouvent les mots et savent comment réagir. Qu'en sera-t-il pour Roméo et Juliette ?
Jean-Paul Nozière est un artiste : il observe et met en mots un état de fait effrayant mais terriblement banal. Ça commence par quelques mots inadaptés, qui deviennent péjoratifs ; puis des réflexions dont on sourit, à mi-chemin entre le malaise et l'envie de penser qu'il s'agit d'une plaisanterie de mauvais gout ; ça continue par "un geste malheureux", que l'on explique par l'énervement, la fatigue ou toute autre excuse à laquelle on ne croit pas vraiment. Et puis un jour, on se rend compte que le mal est fait, que le Mal est là. L'auteur nous ouvre les portes des groupuscules d'extrême droite, ces groupes de skins desquels on détourne les yeux, persuadé qu'ils ne sont qu'une minorité. Si c'est peut-être le cas, Jean-Paul Nozière nous rappelle qu'un seul de ces individus, c'est déjà un de trop et que les dégâts engendrés par la bêtise de certains sont irréparables et ont des conséquences sur beaucoup. Dépassé par l'engrenage dans lequel il a mis le pied, Roméo ne se rend pas bien compte des enjeux de ses actes, il ne comprend pas l'idéologie qu'il cautionne en fréquentant ces hommes arborant des tatouages d'aigles surmontant un globe, prônant "l'aube nouvelle" pour les "vrais" Français, défendant l'expulsion par la violence des "métèques", les affublant de qualificatifs tellement fleuris et nombreux que même leurs membres n'en maitrisent pas le vocabulaire. Incapable d'aider son amoureux, Juliette assiste désemparée à sa chute, à la disparition du vrai Roméo qu'elle ne veut pourtant pas abandonner. Pourtant, son amour et sa foi en son homme finiront par atteindre ceux qu'elle aime, les heurtant tous de plein fouet et en jetant définitivement certains au tapis. Roméo ne savait pas, mais est-ce vraiment une excuse ?
Quel choc que cette lecture. Adulte ou adolescent, personne ne peut sortir indemne de ce roman qui prend à la gorge, interroge et accuse : ne rien faire revient parfois à cautionner. Entre les lignes, nous lisons l'enjeu de ne pas détourner les yeux et de réagir tant qu'il est encore temps, de dénoncer avant que l'irrémédiable ne se produise, de ne pas penser que certains faits observés sont des détails ou des anecdotes : concernant certains sujets et certaines idéologies, rien ne peut être négligé. Jean-Paul Nozière nous ravit par sa plume incisive, parfois agressive, mais surtout nous amène à questionner, puis à nous positionner : quel que soit le chemin choisi, qu'il le soit en toute connaissance de cause, pour que nous ne puissions pas dire que nous ne savions pas.

Citation

La connerie a des limites ! On ne peut pas excuser sans cesse n'importe quoi ! Toi, tu es amoureuse de Roméo, même si tu prétends le contraire, et tes sentiments te bouchent les yeux et les oreilles.

Rédacteur: Catherine Thiéry mardi 09 juin 2015
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