Travailler tue !

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Roman - Noir

Travailler tue !

Social - Vengeance MAJ lundi 30 mai 2016

Note accordée au livre: 3 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 18 €

Yvan Robin
Paris : Lajouanie, octobre 2015
232 p. ; 19 x 13 cm
ISBN 978-2-37047-063-8

Homme de l'ombre

On a tous vu un jour, en caporal (vous allez comprendre pourquoi après) dans un film américain, cette séquence où des mecs en costard sombre viennent nettoyer une scène de crime, en capitaine (hihihi, j'en ris d'avance) une chambre d'hôtel, avant l'arrivée de la police. La victime est, en colonel (ça vient) une personne sans intérêt, c'est-à-dire une prostituée, alors que le meurtrier est un type super important, en général (et voilà !) le président. Ce postulat de départ est celui que Yvan Robin a adopté pour son second roman : Travailler tue ! (Le premier s'intitule La Disgrâce des noyés et a été publié aux éditons Baleine). Sauf que ça ne se passe aux States mais en France, que la chambre d'hôtel est un chantier de travaux publics, que le crime est un accident, que la personne sans intérêt est un ouvrier et que le président des États-Unis est la société V2V. C'est la nuit et un des manœuvres s'est empalé sur une tige de béton en tombant dans un trou. Ses collègues appellent les secours mais voient débarquer à leur place un homme tout droit sorti de son plumard avec cependant les idées suffisamment claires pour effacer toutes les traces de négligences qui pourraient nuire à l'employeur - la société V2V donc. Ce personnage immédiatement antipathique, qui n'hésite pas à faire souffrir le blessé et à menacer de chômage ses camarades pour maquiller le bordel en palace, s'appelle Hubert Garden et il ne fait ni plus ni moins que son job puisqu'il est inspecteur général de la sécurité pour la dite société. Sans scrupules, dévoué, abonné aux missions délicates, Hubert se console en regardant avancer la construction de son pavillon. En attendant, il vit avec sa femme, Diane, dans une caravane. Diane officie comme aide-soignante dans une maison de retraite et rêve, à défaut de regarder pousser un enfant, de regarder pousser un jardin, celui qui accompagnera le pavillon et dont elle s'occupera pour, enfin, parvenir à se détendre, Quand plusieurs accidents mettent à mal la réputation de l'entreprise, Hubert trouve, en la personne de son patron, le P.-D.G. Robert Klein, quelqu'un d'encore plus pourri que lui. Plus pourri parce que nourri à l'ingratitude. Le boss le désigne comme bouc émissaire et lui annonce sa mutation future pour un poste sans envergure et moins bien payé. Dès lors, l'ambition de Hubert change. Il décide qu'il n'est plus là pour protéger le groupe V2V mais au contraire pour le faire couler. Et il va se révéler incroyablement doué...
Ce n'est pas un roman d'action. Et ce n'est pas non plus une diatribe contre le système capitaliste, qui n'est évidemment pas jojo mais qui est surtout là pour le décor ! En fait le sujet de l'histoire c'est le héros (pour le coup vraiment anti-héros car, croyez-moi, il est plutôt désagréable à suivre). C'est un type qui a toujours été psychologiquement malade, qui a de vraies fêlures et qui a réussi à donner le change pendant des années avec la complicité d'une épouse qui n'a pas trop cherché à comprendre ses parts d'ombre et qui voyait sûrement en lui le moyen d'être quelqu'une de "normale", c'est-à-dire une femme mariée qui élèverait ses gosses (rengainez vos flingues les féministes, je parle de la vision de normalité de Diane, pas de la mienne, ni celle de l'auteur !). Il faut dire que Diane, mis à part son nom, n'a rien d'une déesse. Ce roman est donc une étude en deux temps. Premier temps : le "détraqué" agit pour un tiers qui le déculpabilise en lui disant qu'il fait son travail, l'encourage par des compliments, le motive par l'argent en le payant bien, et même très bien. Deuxième temps : le sujet "malade" est livré à lui-même, n'a plus de hiérarchie, est habité d'un esprit de revanche, voire de vengeance, n'a plus rien à perdre puisqu'il a tout perdu, est donc sans limites, vannes grandes ouvertes qui permettent aux ressentiments anciens, jusqu'à présent étouffés, de remonter à la surface pour un mélange détonnant avec les rancœurs toutes neuves. Âmes sensibles passez votre chemin car le personnage est vraiment malsain (trop pour moi). Son amoralité peut gêner, et il n'a pas grand-chose pour séduire, mais son évolution est très intéressante. À partir du moment où il apparaît (et il arrive vite), on ne le quitte que pour avoir une vision de l'existence de sa femme (qui est un magnifique faux second rôle d'ailleurs). En même temps, on n'est pas non plus en train de faire la biopsie d'un cerveau malade, on reste spectateur, avec des interrogations, car même si la menace est là, présente, pesante, on ne sait pas bien comment elle va se matérialiser et jusqu'où elle va se matérialiser. C'est comme un chien méchant dont on sait, dont on est sûr qu'il va attaquer mais dont on ignore s'il va nous sauter à la gorge ou attendre qu'on tourne le dos pour nous croquer les fesses. Et c'est vrai que tout ça, c'est remarquablement fait. C'est ce que l'auteur souhaitait faire, et il a su admirablement bien imposer une atmosphère lourde, étouffante, angoissante, et sans compromis.

Citation

À trop vouloir t'approcher de la mort, voilà qu'elle s'est acoquinée. Elle va tellement te coller aux basques que tu vas plus pouvoir t'en dépêtrer. Il recula d'un pas, et jeta le couteau par la fenêtre. D'un geste vif, et sans viser. Lâcher du lest, comme d'une montgolfière, le soulageait. Il emprunta les escaliers, pour rejoindre le sommet du bâtiment. Il voulait se perdre dans le dédale de béton, de fer et de sueur. Il voulait se perdre, et ne plus se retrouver.

Rédacteur: François Legay lundi 30 mai 2016
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