Tu n'auras pas peur

Tout ce que vous avez à faire, c'est d'éprouver les bons sentiments, les sentiments politiquement corrects, et de bien montrer toute la délicatesse de votre sensibilité. Et du coup, vous n'avez plus à agir. Il vous suffit de rester tranquillement assis avec vos précieux sentiments en sautoir, pendant que tout le monde s'écroule autour de vous mais vous applaudit tout de même parce que vous ressentez ce que tout être sensible ressentirait.
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vendredi 29 mars

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Roman - Policier

Tu n'auras pas peur

Social - Tueur en série MAJ lundi 10 avril 2017

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 19 €

Michel Moatti
Bordeaux : Hervé Chopin, février 2017
474 p. ; 22 x 15 cm
ISBN 978-2-35720-319-8

Cachez ces images que je ne saurai voir

Ce nouveau roman de Michel Moatti débute comme un nouvel avatar d'une histoire de tueur en série. Un mystérieux personnage, au prix de mille efforts, a reconstitué la mort d'Otis Redding dans un accident d'avion. Il a poussé la ressemblance jusqu'à congeler le bras de la victime et le coincer dans un fauteuil d'avion qu'il a déposé dans le lac d'un parc de la ville de Londres. Il a laissé des détails saugrenus et des indices comme pour annoncer sa reconstitution suivante. Nous allons suivre trois personnes qui vont se trouver au centre du tourbillon engendré par cette affaire. Bien évidemment, un policier, inspecteur de Scotland Yard de son état, sa petite amie, Lynn Dunsday, qui se trouve être une journaliste montante du Web, et Trevor Sugden, un vieil homme, lui aussi journaliste, mais qui a conservé une certaine idée de son métier, une forme de déontologie qu'il transmet d'ailleurs à sa consœur. L'enquête patauge car il s'avère difficile de coincer ce tueur en série. Par définition ses mobiles sont flous, ses liens avec les victimes distendus et nul ne sait où il risque de frapper. Mais peu à peu son profil se dessine et, se soutenant, s'offrant leurs déductions ou cachant certains indices, les trois protagonistes vont comprendre qui se cache derrière ce metteur en scène de reconstitutions de crimes célèbres.
Michel Moatti, l'auteur de ce récit, est un docteur en sociologie, et cet aspect de sa personnalité transpire dans ce roman. En effet, de manière intelligente, il ne va pas écrire des pages vues de l'intérieur du cerveau du détraqué. Il ne va pas non plus sombrer dans des descriptions pathologiques et voyeuristes. Au contraire, toute son analyse montre combien les consommateurs de médias sont des voyeurs impénitents, combien ils réclament et en même temps s'offusquent des scènes horribles. Cela donne lieu dans le roman à de palpitants débats entre les deux journalistes qui voient la dérive dans laquelle leur monde s'engouffre, mais contre laquelle ils ont du mal à lutter. Le tueur en série est un écho de cette volonté sadique du public car tout son travail morbide consiste justement à reproduire des scènes criminelles avec une froide détermination. L'auteur reproduit des articles de ses journalistes qui écrivent souvent sur les sites en temps réel, ce qui renforce encore le caractère inéluctable de ces visions macabres imposées aux gens - et l'on se souvient en France, des façons dont on a suivi en direct les différentes attaques terroristes de ces derniers mois. Les lecteurs qui vont même sur Facebook, savent combien il a été facile de voir, répercutés par des connaissances, des scènes horribles comme celles du pilote jordanien brûlé vis dans sa cage ou des homosexuels jetés depuis le haut des immeubles dans l'État autoproclamé de Daesh.
La mise en abyme de ce tueur qui reproduit des scènes qui gênent tout le monde mais que tout le monde veut voir, cette hypocrisie sociale continuelle, sont décrits avec soin et réalisme au sein d'une intrigue intelligente qui sait raconter l'horreur, en évitant justement d'y sombrer ou d'appâter le lecteur. Michel Moatti a su gérer cette contradiction, qu'il évoque à travers des scènes dialoguées bien construites, où l'on comprend les différents arguments sans que cela ne tombe une seule fois dans un moralisme bêtifiant. Le dosage entre les deux parties - l'une active et l'autre réflexive - est subtil et bien rendu, pour un roman qui mérite que l'on prenne le temps de l'ouvrir.

Citation

Andrew Folsom se demanda comment son supérieur allait bien pouvoir dialoguer avec un type capable de cryogéniser le bras d'un homme juste avant de le noyer attaché à un fauteuil d'avion, un type capable de découper le visage d'une fille et de l'emporter avec lui aussi naturellement qu'un pot de crème glacée Häagen-Dazs

Rédacteur: Laurent Greusard lundi 10 avril 2017
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